Sixième publication de notre série relative à l’impact du changement climatique sur la supervision des organismes d’assurance : éclairage sur les nouveaux travaux transverses lancés par l’EIOPA sur les risques de catastrophe naturelle.

L’EIOPA a publié en juillet 2021 trois nouveaux documents ayant vocation à améliorer la prise en compte du changement climatique dans le secteur de l’assurance, et au-delà :

  • Un tableau de bord pilote relatif au risque de catastrophes naturelles[1]
  • Un document méthodologique proposant une approche itérative pour mieux prendre en compte le caractère incertain du changement climatique dans les exigences de capital relatives au risque de catastrophe naturelle[2]
  • Un rapport sur les politiques de souscription et de tarification des risques non-vie à l’aube du changement climatique[3].

Le tableau de bord pilote relatif au risque de catastrophe naturelle :

Ce tableau de bord comporte plusieurs indicateurs par pays. Pour différentes familles de risques de catastrophe naturelle, l’EIOPA évalue sur une échelle de 0 (faible) à 4 (fort) « l’écart de protection » historique, et établit une estimation de « l’écart de protection » actuel. Cet écart de protection est la différence entre le montant des pertes (assurées ou non) provoquées par les catastrophes naturelles, et le montant des seules pertes assurées, ce qui correspond au « reste à charge » des assurés. Pour évaluer l’écart actuel, l’EIOPA estime l’exposition de chaque pays à chacun des risques, la vulnérabilité à ces risques, et le niveau de couverture assurantielle actuelle de ces risques.

A terme, ce tableau de bord pourrait servir non seulement à mieux intégrer l’impact futur des catastrophes naturelles dans l’ORSA, mais également à aider les acteurs publics et privés à mieux identifier les régions à risque et les facteurs de risques pour favoriser la prévention et la collaboration entre régions et pays confrontés à des risques similaires.

Consciente des nombreuses limites de ce tableau de bord dans sa forme actuelle, l’EIOPA prévoit une révision dès 2022, dans laquelle elle envisage notamment :

  • d’ajouter une estimation de « l’écart de protection futur », sur la base d’une méthodologie à définir
  • d’élargir la nature des risques pris en compte (sécheresse ou risque pandémique), actuellement « limités » aux tremblements de terre, aux inondations, aux incendies et aux tempêtes
  • d’améliorer la granularité de certains risques (inondations côtières vs fluviales), de la destination des terrains et immeubles concernés (résidentiel, commercial, industriel, agricole), de la couverture géographique (par régions plutôt que par pays)
  • d’intégrer les systèmes de couverture publics pour refléter un « écart de protection » et donc un reste à charge potentiel plus proche de la réalité.

La prise en compte du risque climatique dans les exigences de capital

Le document méthodologique propose une nouvelle approche itérative pour mieux tenir compte du caractère incertain du risque climatique et de son évolution rapide, en recalibrant régulièrement les paramètres à prendre en compte pour le risque de catastrophes naturelles dans la « formule standard » de Solvabilité 2, permettant de calculer les ratios prudentiels, en particulier le SCR.

Dans un souci de transparence et de comparabilité, l’EIOPA prévoit d’identifier et exploiter de nouvelles données pour construire des modèles publics permettant de mieux comprendre et prendre en compte certains risques émergents comme les mégafeux, la submersion côtière et les épisodes de sécheresse intense.

La prise en compte du risque climatique dans les politiques de souscription et de tarification des risques non-vie

Dans son rapport, l’EIOPA relève que le risque est non négligeable d’arriver à une situation où certains assurés renoncent à leur couverture devenue trop chère, voire que certains organismes d’assurance sortent du marché sur certaines régions à risque.

Elle identifie trois leviers potentiels pour permettre aux politiques de souscription des organismes d’assurance de favoriser l’atténuation et/ou l’adaptation au changement climatique :

  • Exploiter le « signal-prix » et des conditions contractuelles spécifiques pour inciter certaines pratiques vertueuses réduisant le risque (prévention, adaptation) ou pénalisant l’absence de telles mesures. Pour être vraiment efficaces, de telles mesures devraient être soutenues ou pilotées par les pouvoirs publics, au niveau européen si possible
  • Considérer la possibilité de contrats d’assurance à long-terme, en lieu et place des contrats courts actuels (1 an en général), permettant de recalibrer régulièrement les cotisations. Cela contraindrait l’organisme d’assurance à renforcer sa politique de prévention, tout en lui permettant d’intégrer le coût de cette politique dans les primes ; cela est aujourd’hui difficile quand l’assuré est susceptible de changer d’organisme avant que la politique de prévention n’ait pu permettre de réduire le risque ou s’y adapter. Toutefois, cela pose d’autres problèmes, comme une absence de flexibilité pour l’assuré ou pour l’organisme d’assurance, ce dernier augmentant ainsi son risque, alors même que la visibilité à long terme est réduite dans le cadre du changement climatique ;
  • Développer les services associés, que leur prix soit inclus dans les primes ou distincts. L’EIOPA évoque diverses pistes et bonnes pratiques vues sur le marché : le « pay as you drive » qui incite à conduire moins, la réparation par l’organisme d’assurance ou un partenaire plutôt que le remplacement de biens endommagés, une garantie spécifique pour les acheteurs de panneaux photovoltaïques sécurisant leur investissement sur le long terme et favorisant donc leur achat, des couvertures spécifiques pour le covoiturage, etc.

Face à ces développements, l’EIOPA envisage de différencier le traitement prudentiel de certains produits en réduisant le coût en capital nécessaire, pour inciter les organismes à les proposer et les assurés à les sélectionner. Par ailleurs, elle projette de réfléchir plus avant sur les impacts et les modalités d’une couverture pluriannuelle. Enfin, elle prévoit également d’explorer les potentielles adaptations de la Directive sur la Distribution d’Assurance (DDA) pour inclure l’impact environnemental dans le processus de définition et de gouvernance des produits que chaque organisme doit respecter.

La transition prudentielle est bien en cours !

Les superviseurs sont donc très clairement en train d’accélérer sur la prise en compte du changement climatique, à tous les niveaux. Le secteur de l’assurance est en train de changer de paradigme. La transition est en cours entre une période où tout reposait sur la volonté réelle ou affichée des organismes d’assurance et une période où le risque climatique est pris en compte sectoriellement de façon systémique et systématique.

La semaine prochaine, la septième et dernière publication de notre série relative à l’impact du changement climatique sur la supervision des organismes d’assurance regroupera nos six précédentes publications.


[1] https://www.eiopa.europa.eu/content/pilot-dashboard-insurance-protection-gap-natural-catastrophes_en

[2] https://www.eiopa.europa.eu/content/methodological-paper-potential-inclusion-of-climate-change-nat-cat-standard-formula

[3] https://www.eiopa.europa.eu/content/report-non-life-underwriting-and-pricing-light-of-climate-change_en