Troisième volet de notre série consacrée à l’impact du changement climatique sur la supervision des organismes d’assurance : nous zoomons sur l’ORSA.

L’ORSA est un processus faisant partie intégrante du cadre prudentiel Solvabilité 2 et devant s’intégrer au système de gestion du risque de chaque organisme d’assurance. Il doit permettre à l’organisme d’évaluer lui-même :

  • Son Besoin Global de Solvabilité (BGS), recouvrant les fonds propres et les autres moyens (réassurance par exemple) lui permettant d’assurer le paiement des prestations garanties, en tenant compte de sa stratégie commerciale, de son « appétence au risque » et de son profil de risque spécifique ;
  • Son respect permanent des exigences de capital nécessaires à la couverture de ses engagements
  • L’éventuel écart entre le profil de risque de l’organisme et les hypothèses sur lesquelles se basent les exigences de fonds propres réglementaires – MCR[1] et SCR[2].

L’ORSA prévoit la remise d’un rapport aux superviseurs leur permettant de contrôler la cohérence globale des hypothèses, des risques pris en compte et de leurs impacts sur les ratios prudentiels de couverture du MCR et du SCR sur un horizon de l’ordre de 3 à 5 ans.

Il s’agit d’en déduire les conséquences probables en termes de solvabilité, c’est-à-dire leur capacité à respecter leurs engagements financiers. Les superviseurs peuvent ainsi vérifier que les organismes d’assurance tiennent bien compte des différents risques, y compris les risques induits par le changement climatique, et de leurs impacts sur leur modèle économique et leur résilience. Le cas échéant, les superviseurs peuvent inciter les organismes contrôlés à mieux prendre en compte ces risques, que ce soit en renforçant leurs fonds propres, en rééquilibrant leurs portefeuilles assurés, en réévaluant leurs cotisations, en modifiant leur stratégie d’investissement, etc.

En septembre 2019, l’EIOPA remettait un avis[3], demandé par la Commission Européenne en août 2018, sur la soutenabilité dans le cadre de Solvabilité 2, en se concentrant particulièrement sur les aspects relatifs à l’atténuation du changement climatique. Cet avis confirmait la bonne adaptation du cadre général à la prise en compte de ces problématiques, à différents niveaux : évaluation des actifs, des passifs et des besoins en capital, pratiques d’investissement, politiques de souscription. Il estime néanmoins que les outils existants doivent être amendés, en particulier l’ORSA et les stress-tests.

Dans son Opinion[4] d’avril 2021 sur l’utilisation de scénarios de risques liés au changement climatique dans l’ORSA, l’EIOPA développe ce qu’elle considère nécessaire pour adapter cet outil. Elle indique qu’une minorité d’organismes d’assurance a créé des scénarios dédiés à l’impact du changement climatique ; qu’il convient donc d’en systématiser l’utilisation ; qu’il est nécessaire d’étendre l’horizon de ces scénarios afin de se rapprocher d’une échelle de temps de 10 à 30 ans compatible avec celle du changement climatique, sans négliger l’impact à court terme déjà existant pour certaines catégories de garanties comme les catastrophes naturelles et d’acteurs tels les réassureurs.

Dans sa proposition de directive[5] amendant la directive Solvabilité 2 du 22/09/2021, la Commission Européenne vise à rendre explicite la nécessité de prendre en compte notamment le changement climatique dans l’ORSA.

En écho à l’EIOPA, cette proposition de directive prévoit également la création de scénarios d’analyse spécifiques au changement climatique, dès lors que l’organisme concerné est soumis à des risques liés au changement climatique, avec au minimum deux scénarios long-terme, dans l’éventualité où la température globale augmente de moins de 2° celsius, et dans l’éventualité où l’augmentation atteint ou dépasse les 2°.La fréquence de revue des impacts doit être proportionnée à la nature, l’étendue et la complexité des risques concernés, avec un délai maximum de 3 ans entre deux revues. Les scénarios doivent également être revus tous les 3 ans au minimum.

Cette proposition de directive doit maintenant suivre la procédure législative ordinaire en étant soumise au Parlement Européen (députés européens) puis au Conseil Européen (chefs d’Etat).

La quatrième publication de notre série s’intéressera la semaine prochaine aux stress-tests annuels de l’EIOPA et aux évolutions envisagées pour répondre au défi du changement climatique.


[1] Minimum Capital Requirement = besoin en fonds propres minimal pour conserver son agrément. Si le niveau des fonds propres éligibles descend sous le MCR, l’organisme peut être mis sous tutelle et liquidé, ses portefeuilles repris par d’autres organismes d’assurance sous le contrôle des superviseurs.

[2] Sufficient Capital Requirement = besoin en fonds propres suffisant pour limiter la probabilité de défaillance de l’organisme à 0,5% ou, autrement dit, pour faire face à un choc extrême bicentenaire. Si le niveau des fonds propres éligibles descend en-dessous, l’organisme est mis sous surveillance du superviseur pour l’aider à se rétablir.

[3] https://www.eiopa.europa.eu/content/opinion-sustainability-within-solvency-ii

[4] https://www.eiopa.europa.eu/content/eiopa-issues-opinion-supervision-of-use-of-climate-change-risk-scenarios-orsa

[5] https://eur-lex.europa.eu/legal-content/EN/TXT/?uri=CELEX:52021PC0581