Les captives de réassurance en plein essor 

par | 25 novembre 2024 | Assurance

Depuis plusieurs années, certaines grandes entreprises se sont emparées d’un mécanisme assurantiel initialement peu répandu : la captive d’assurance ou de réassurance. Le phénomène a pris de l’ampleur depuis 2020 et la crise du COVID qui a mis en lumière les franchises, exclusions de couvertures voire absence totale de couverture, en particulier pour certains types de garanties comme les pertes d’exploitation sans dommages ou la cyber assurance. 

Le phénomène s’est ensuite brutalement accéléré, avec la guerre en Ukraine et la multiplication des catastrophes naturelles favorisé par le changement climatique : les réassureurs, ou « assureurs des assureurs », pour rétablir leur rentabilité, ont cherché des marges de manœuvre financières en augmentant les franchises ou en réduisant les capacités offertes au marché sur certaines lignes métier. 

Face à ces difficultés, les assureurs suivent le mouvement, réduisant la voilure sur les lignes métier concernées, de peur d’avoir à absorber l’intégralité des pertes de garanties offertes mais non réassurées, et devant le coût en capital du risque posé par de telles situations. 

Les assureurs ne se bousculant pas pour souscrire de nouveaux risques qu’ils auraient du mal à réassurer tout court ou à un coût acceptable, les entreprises clientes ont tout intérêt à présenter un profil de risque plus intéressant pour l’assureur, en démontrant leur maturité sur ces sujets afin de négocier en meilleure position. Cela explique aussi en partie le renforcement des fonctions de gestion du risque dans les grandes entreprises. 

Dans une telle situation, les gestionnaires de risque travaillent sur la prévention, pour réduire le profil de risque de l’entreprise, et peuvent dans certains cas utiliser l’outil qu’est la captive d’assurance ou de réassurance. 

Une captive, qu’est-ce que c’est  ? 

Une captive est une filiale d’un groupe, dans la plupart des cas non financier (industriel, commercial ou de services), dédiée à la couverture assurantielle des risques du groupe et de ses filiales. On distingue deux types principaux de captives : 

  • La captive d’assurance fonctionne comme un assureur standard et émet des garanties, perçoit des primes et indemnise directement son groupe et ses filiales en cas de survenance d’un évènement garanti. 
  • La captive de réassurance agira de concert avec un assureur dit « fronteur », et complètera les indemnisations de ce dernier en cas de sinistralité majeure dépassant la limite de couverture fixée par l’assureur sur cette garantie ; elle pourra elle-même être réassurée partiellement, pour limiter les risques qu’elle portera. 

Pourquoi une captive ? 

La captive d’assurance ou de réassurance a plusieurs intérêts potentiels pour un groupe : 

  • Couvrir des risques non assurables par le marché, ou assurables à des coûts jugés prohibitifs en regard des coûts de fonctionnement de la captive ; 
  • Favoriser la culture de la gestion du risque dans l’entreprise, en intégrant intelligemment l’outil qu’est la captive dans un programme de prévention et de financement des risques cohérent ; 
  • Maîtriser les coûts de gestion des risques à moyen et long termes, en réduisant la dépendance au marché de l’assurance et sa volatilité parfois forte pour les risques d’entreprises ; 
  • Optimiser la rétention des risques pour créer de meilleures conditions de transfert du risque résiduel au marché de l’assurance et de la réassurance. 

Les contraintes d’une captive 

Pour séduisante qu’elle soit, la constitution d’une captive est très contraignante et ne se justifie que pour des groupes d’une taille importante. 

En effet, elle nécessite la mobilisation de fonds propres du groupe pour capitaliser la structure soumise aux règles prudentielles du cadre assurantiel européen dit Solvabilité 2 (plusieurs millions voire plusieurs dizaines de millions d’euros en fonction du périmètre couvert) ; elle nécessite des frais de création et de gestion non négligeables dans un cadre réglementaire fourni et en constante évolution (plusieurs centaines de milliers d’euros par an au moins) ; elle fait logiquement porter un risque sur le groupe, via la captive, d’une sinistralité importante non prévue, le principe étant l’auto-assurance et donc le financement en propre par le groupe de son risque, justifiant la réalisation d’études préalables précises permettant de bien délimiter le périmètre et les niveaux de couverture auxquels la captive se limitera. 

Pour faciliter en la mise en œuvre, les grands groupes mettant en place une captive s’associent souvent à un ou plusieurs acteurs traditionnels du marché, en particulier des courtiers grossistes qui ont multiplié les offres ces dernières années. 

Les assureurs traditionnels ont également un rôle pédagogique à jouer, pour trouver un équilibre gagnant-gagnant avec leurs plus gros clients, l’objectif étant de les conserver tout en leur permettant d’optimiser la gestion de leurs risques et en maîtrisant la sinistralité. L’Association pour le Management des Risques et des Assurances de l’Entreprise (AMRAE) confirme, dans son enquêtei 2024 sur l’état du marché et les perspectives des assurances de l’entreprise, que l’impact peut être réel pour les assureurs sur certaines lignes métiers et certains secteurs – elle cite par exemple la couverture de l’impact des grèves, émeutes et mouvements populaires dans la distribution. 

Pourquoi un regain d’intérêt récent ? 

Les groupes ayant leurs sièges sociaux en France détiennent une soixantaine de captives, quasi-exclusivement immatriculées à l’étranger dans des pays à fiscalité stable et allégée (Luxembourg, Irlande, Malte). 

Pour favoriser la création de captives en France, voire le rapatriement de captives de l’étranger, l’article 6 de la loi de finances 2023 ii a instauré un avantage fiscal spécifique aux captives de réassurance françaises, leur permettant à partir du 1er janvier 2023 de doter, en franchise d’impôt, une provision dite « de résilience » destinée à faire face aux charges afférentes aux opérations de réassurance acceptée, alimentée par les bénéfices réalisés par la captive. En clair, cela permet de mettre en réserve les bénéfices que réaliserait la captive de réassurance en prévision de futurs sinistres. 

Cette mise en réserve a été encadrée par le décret iii n° 2023-449 du 7 juin 2023 « relatif aux règles de comptabilisation de la provision pour résilience constituée par les entreprises captives de réassurance ». Elle n’est ainsi possible que dans la limite de 90% des bénéfices techniques réalisés dans l’année, et ne peut dépasser dix fois le montant du capital minimum requis par les règles du cadre prudentiel européen Solvabilité 2. Au bout de 15 ans, les dotations n’ayant pas été utilisées pour compenser les pertes de la captive sont soumises à l’impôt, ce dernier n’étant alors que décalé. Enfin, cette provision ne peut servir qu’à couvrir des risques bien précis : dommages aux biens professionnels et agricoles, catastrophes naturelles, responsabilité civile générale, pertes pécuniaires, dommages et pertes pécuniaires consécutifs aux atteintes aux systèmes d’information et de communication et des transports. 

Les captives se multiplient, l’EIOPA précise les règles, Solvabilité 2 devrait s’alléger 

Depuis, les projets se sont multipliés. Fin septembre 2024, près d’une vingtaine de captives de réassurance étaient agréées ou en attente de leur agrément. On y trouve principalement de grands groupes industriels (Ariane Group, Alstom, Dassault, Naval Group, L’Oréal, Seb, Véolia), des groupes ou coopératives d’agroalimentaire (Bonduelle, Lactalis, Limagrain), des groupes de services (Fnac-Darty, Orange, La Poste, Lucien Barrière, Vivendi). 

Signe du dynamisme du secteur autour des captives, l’EIOPA s’est penchée, dans son opinioniv sur la supervision des captives rendue publique le 2 juillet 2024, sur les règles qui leur sont applicables pour s’assurer que leur multiplication ne se fasse pas au détriment de la stabilité financière et des intérêts des parties prenantes. 

En parallèle, la révision du régime prudentiel Solvabilité 2 – dont la publication au Journal Officiel de l’Union Européenne devrait avoir lieu d’ici la fin 2024 – prévoit une réforme de son système de proportionnalité ayant pour conséquence d’exonérer bon nombre de captives de ses dispositions les plus contraignantes, comme le saluait la fédération européenne des associations professionnelles de gestion du risque dans une notev récente. 

Les captives devraient donc conserver tout leur attrait dans les prochaines années.