Par des titres accrocheurs, de nombreux médias alertaient récemment sur l’augmentation du nombre d’erreurs dans le calcul des retraites. Qu’en est-il et faut-il s’en inquiéter ? Comment de telles erreurs sont-elles possibles ? Pouvons-nous les détecter, les corriger et s’en prémunir ?

Pourquoi cette alerte ?

Le point de départ est la publication le 18 mai 2021 du rapport annuel sur la certification des comptes du régime général de sécurité sociale que la Cour des Comptes a remis au Parlement et au Gouvernement. Dans ce rapport, la Cour des Comptes présente neuf opinionssur la fiabilité des comptes soumis à certification (voir plus de détail en annexe). Parmi ces opinions la Cour des comptes porte un jugement sévère sur l’exercice financier 2020 de la Caisse nationale d’assurance-vieillesse (CNAV), elle constate une dégradation de la fiabilité des comptes et se déclare dans l’impossibilité de certifier ceux portant sur l’activité de recouvrement, c’est-à-dire la collecte des contributions versées par les entreprises et les travailleurs.

Un autre point mis en exergue concerne les erreurs ayant une portée financière sur les pensions nouvellement attribuées ou révisées. Ce qui est souligné, c’est la dégradation de la situation en termes de fréquence et de coût de ces anomalies.

Deux points importants sont à préciser :

  • Ce rapport ne concerne que le régime général de sécurité sociale géré par la CNAV et d’autres acteurs interviennent dans le paiement des retraites (Agirc-Arrco, MSA, régimes du secteur public…) mais ils ne sont pas concernés par ce rapport.
  • Pour mieux dimensionner le sujet et bien que ces moyennes recouvrent beaucoup de disparités : pour une pension globale d’un montant moyen de 1 393 € net par mois, le montant mensuel moyen de la retraite CNAV s’établit à 769 €.

Quelles sont ces erreurs ?

Ce sujet particulièrement sensible des erreurs sur les pensions n’est pas nouveau, mais la situation a empiré en 2020. Ces erreurs concernent un dossier sur six contre un sur neuf il y a cinq ans, ceci mesuré d’après les calculs de la Cour fondés sur un échantillon de près de 9 400 cas. Les trois quarts de ces dysfonctionnements pénalisent l’assuré. A la CNAV, on indique que le manque-à-gagner médian était de 123 euros par an en 2020, et tempère en précisant que cette valeur médiane était plus importante en 2019 : 139 euros. Somme à mettre en rapport avec le montant moyen des pensions de retraite, précisé plus haut. Ces erreurs cumulées auraient un impact non négligeable et représenteraient 1,6 milliard d’euros jusqu’au décès des pensionnés (105 millions d’euros sur l’exercice 2020).

Certaines prestations semblent plus impactées par ces problèmes, notamment l’allocation de solidarité aux personnes âgées (ex-minimum vieillesse) pour laquelle la fréquence des erreurs atteint 23,8 %, selon le rapport.

Pourquoi ces erreurs ?

Le rapport précise que 60 % des anomalies sont liées à une prise en compte imparfaite des éléments de la carrière professionnelle. En réponse la CNAV invoque la difficulté pour réunir toutes les pièces justificatives, en particulier pour les individus ayant eu des carrières heurtées. En effet, le calcul des pensions de retraite est un processus très complexe en France et la situation ne s’arrange pas avec le temps au contraire. Les carrières sont moins linéaires et de plus en plus compliquées, la législation également de plus en plus complexe car liée à un empilement des différentes réformes et évolutions. Cette complexité réglementaire considérable est donc la conséquence de la prise en compte d’une multitude de situations.

En 2020, la crise sanitaire n’a pas aidé et le directeur général de la CNAV, Renaud Villard, a déclaré ne pas vouloir se « cacher derrière la crise sanitaire » pour expliquer l’explosion de ce taux d’erreurs, mais a reconnu qu’elle avait forcément eu un impact négatif sur le travail de ses collaborateurs.                           « L’année 2020 a été atypique, la priorité absolue était de maintenir la continuité du service public et le versement des retraites ». [1] 

Plus précisément, dans son rapport la Cour des comptes a expliqué en partie ces erreurs par une insuffisance des contrôles intégrés à l’outil informatique de gestion des prestations, de l’absence d’automatisation de plusieurs étapes de leur calcul et de l’assistance limitée apportée aux agents par le système d’information.

Les faiblesses des dispositifs de contrôle pointées du doigt

Mais au-delà du bien-fondé incontestable de ces explications, le rapport pointe les faiblesses persistantes du dispositif de maîtrise des risques, provoquant selon l’opinion de la cour une situation particulièrement dégradée. Une efficacité insuffisante que malheureusement les mesures prises en 2020 dans le contexte de crise sanitaire ont conduit à réduire.

La Cour des Comptes constate cette dégradation et surtout note l’absence d’actions efficaces mises en œuvre par la CNAV pour garantir l’exactitude du calcul et du paiement des retraites.

Quelles solutions ?

Pour remédier à ces problèmes et s’améliorer dans la fiabilisation des données prises en compte pour attribuer les retraites, la CNAV table sur la mise en œuvre de 2 outils :

  • Le répertoire de gestion des carrières unique (RGCU) qui est un outil inter-régimes ayant vocation à rassembler l’ensemble des données relatives à la carrière de chaque assuré social, dans le but de faciliter le calcul de sa pension de retraite.
  • Le système de régularisation des carrières, qui est un service en ligne pour permettre aux assurés sociaux de signaler les erreurs dans leur relevé de carrière. Les utilisateurs de ce service pourront directement constater et ajouter ou rectifier les informations renseignées, en joignant les documents justifiant leur situation.

Les politiques ne pouvaient rester insensibles et trois membres du gouvernement chargés du dossier, dont le ministre des Solidarités et de la Santé, Olivier Véran, promettent « une nette amélioration de la qualité de la liquidation des prestations versées, notamment une réduction de la fréquence des anomalies […] dès 2021 ».[2] 

Mais comment ? Force est de constater que la CNAV ne communique pas sur des plans d’actions précis. Il est pourtant précisé dans le rapport de la cour des comptes que pour l’avenir l’évolution des constats de la Cour dépendra notamment d’un renforcement des actions de maîtrise des risques, de la réalisation de chantiers informatiques de grande ampleur et de l’amélioration de la justification de certains postes comptables.

Les perspectives d’amélioration à court terme restent donc très floues !

Et pour les organismes d’assurance ?

L’objectif de la conformité des calculs de prestation est un enjeu fort pour les organismes d’assurance au sens large. Pour rester dans le monde de la retraite par exemple l’Agirc-Arrco intègre cette problématique dans ses contrats d’objectifs depuis de nombreuses années. Poussés par la réglementation les organismes d’assurance ont tous mis en place des processus de contrôle interne et les nombreux organismes auditeurs en charge de les suivre surveillent ce point avec attention.

Car pour tout assureur dans le monde concurrentiel une communication par voie de presse sur des erreurs constatées sur les prestations servies est un risque d’image qu’ils peuvent difficilement se permettre, vis-à-vis de leurs clients directs ou indirects.

A titre individuel, comment s’en prémunir ?

A titre individuel, déceler un problème dans le calcul de sa propre retraite est assez compliqué, à moins d’être initié ou bien conseillé ! S’agissant des périodes (trimestres) prises en compte pour le calcul de sa retraite, il est important de s’en préoccuper. Nous vous conseillons d’utiliser tous les outils à votre disposition pour vérifier au moins la bonne prise en compte de tous vos éléments de carrière.  Les sites suivants vous aideront :

https://www.lassuranceretraite.fr/

https://www.agirc-arrco.fr/

Nous vous conseillons également de consulter attentivement les documents envoyés dans le cadre du dispositif ‘droit à l’information sur la retraite du salarié’. En fonction de votre âge, différents documents sont à votre disposition. Un petit descriptif rapide :

  • À partir de 2 trimestres d’assurance vieillesse validés, un document d’information générale sur le système de retraite vous est adressé.
  • À partir de 35 ans et tous les 5 ans jusqu’à 50 ans, un relevé de situation individuelle vous est automatiquement envoyé. Il vous informe de la durée d’assurance retraite et des points accumulés.
  • Ce relevé peut également être demandé à votre caisse à tout âge.
  • À partir de 45 ans, vous pouvez demander à votre caisse de retraite un entretien individuel d’information sur vos droits à pension et leurs perspectives d’évolution.
  • À 55 ans, une estimation indicative globale du montant de vos pensions de retraite vous est envoyée.

Tout ceci va dans le sens voulu par les pouvoirs publics d’une plus grande responsabilisation des assurés sociaux face à leurs retraites, et de faire en sorte que notamment les plus jeunes s’intéressent plus et plus tôt aux questions de la retraite. 

La réforme des retraites comme solution ?

Certains avancent que la solution est un système universel de retraite avec le seul système pour tous tel qu’envisagé dans le projet de réforme des retraites. [3] Fondre les 42 régimes actuels en un seul régime universel apporterait certainement à terme une simplification et une standardisation bénéfiques au calcul des pensions.

Cependant les modalités de mise en place seraient telles que nous nous dirigerions plutôt vers la gestion de 43 régimes en parallèle (42+1) : le temps de l’extinction des anciens régimes, c’est-à-dire une vie professionnelle.

Annexes :

Cour des Comptes. Rapport annuel sur la certification des comptes du régime général de sécurité sociale du 18 mai 2021. Ce rapport la présente neuf opinionssur la fiabilité des comptes soumis à certification :

  • Cinq portent sur les comptes respectifs de l’activité de recouvrement et des branches maladie et accidents du travail-maladies professionnelles (AT-MP), famille et vieillesse ;
  • Quatre concernent les comptes des organismes nationaux : Agence centrale des organismes de sécurité sociale (ACOSS), Caisse nationale d’assurance maladie (CNAM), Caisse nationale des allocations familiales (CNAF) et Caisse nationale d’assurance vieillesse (CNAV).

Extraits :

  • Certifie les quatre jeux de comptes combinés des branches du régime général en formulant vingt-deux réserves, contre seize l’année précédente ;
  • Constate l’impossibilité d’exprimer une opinion sur les comptes combinés de l’activité de recouvrement (qui avaient été certifiés avec quatre réserves l’année précédente) ;
  • Certifie les quatre jeux de comptes des organismes nationaux, en formulant huit réserves, comme l’année précédente.

Ces positions traduisent l’effet cumulatif de faiblesses persistantes dans la maîtrise des risques de portée financière, déjà constatées les exercices précédents, et de l’importance inédite des incertitudes ou des désaccords portant sur les produits, les charges, les créances, les dettes ou les provisions comptabilisés au titre de mesures exceptionnelles décidées par les pouvoirs publics.

S’agissant de la maîtrise des risques de portée financière, les indicateurs qui visent à mesurer les erreurs que les dispositifs de contrôle interne ne permettent pas de détecter et de corriger (« indicateurs de risque financier résiduel ») se dégradent, ont fait l’objet d’une forte réévaluation ou se maintiennent à des niveaux élevés. Cela témoigne d’une efficacité insuffisante des dispositifs de contrôle interne, que les mesures prises en 2020 dans le contexte de crise sanitaire ont conduit de surcroît à réduire.

Pour l’avenir, l’évolution des constats de la Cour dépendra notamment d’un renforcement des actions de maîtrise des risques, de la réalisation de chantiers informatiques de grande ampleur et de l’amélioration de la justification de certains postes comptables.


[1] Renaud Villard sur France Info 20/05/2021

[2] France Info le 20/05

[3] Cf. Rapport Delevoye – 18 juillet 2019 – Préconisations sur le futur système universel des retraites.