Longtemps évoquée sans mise en œuvre concrète, l’ouverture à la concurrence des trafics nationaux de voyageurs est désormais lancée et suscite un réel intérêt. Plusieurs acteurs ont déjà explicitement exprimé leur volonté de répondre aux appels d’offres lancés par les Autorités Organisatrices de Transport (AOT). Rappelons que l’ouverture du transport international de voyageurs reste à ce stade encore symbolique avec uniquement quelques lignes franco-italiennes exploitées par Thello.

Intercités : échec du premier appel d’offres

L’Etat, dans son rôle d’Autorité Organisatrice des Trains d’Equilibre du Territoire (lignes Intercités), a voulu montrer l’exemple en publiant le premier appel d’offres pour l’exploitation des lignes Nantes-Lyon et Nantes-Bordeaux. Cependant, malgré l’engouement initial, les différents candidats ont renoncé les uns après les autres, laissant in fine la seule SNCF en lice sur l’appel d’offres. Plusieurs facteurs peuvent expliquer la réticence des transporteurs à aller au bout de ce processus. Tout d’abord, la crise sanitaire a dégradé leurs finances, réduisant ainsi leur capacité à investir sur des phases d’avant-vente longues et coûteuses. L’incertitude sur la durée de la crise augmente également le risque sur la fréquentation de ces deux lignes, qu’il s’agisse des voyages de particuliers, du tourisme ou des voyages d’affaires. Enfin, le marché a été jugé par certains candidats insuffisamment attractif, du fait notamment des travaux d’infrastructure prévus sur les lignes ou de certaines contraintes du marché.

Cette issue infructueuse de l’appel d’offres Intercités démontre que même sur du transport conventionné, les différents acteurs ne sont pas prêts à se positionner coûte que coûte pour gagner des parts de marché !

Un marché TER à géométrie variable selon les régions

Au-delà des trafics Intercités, plusieurs régions ont décidé d’expérimenter l’ouverture à la concurrence du marché TER en proposant des concessions sur 10 ans : Provence-Alpes-Côte d’Azur, Hauts-de-France, Grand Est et Pays de la Loire.

Ces régions proposent d’ouvrir une partie de leur réseau à la concurrence. La région PACA ouvre ainsi un tiers de son offre TER et attribuera deux lots à l’été 2021, dont la ligne Marseille-Toulon-Nice, pour un début d’exploitation en décembre 2024. Les Hauts-de-France proposent quant à eux trois lots qui seront attribués au plus tard début 2022, pour de premières circulations fin 2023. L’un des lots concerne la ligne entre Beauvais et Paris, dans le but de mieux assurer la desserte entre la Picardie et le Nord de Paris. La région Grand Est a également décidé de proposer le réaménagement d’une ligne fermée depuis 2016, elle prévoit également d’ouvrir des lignes transfrontalières pour la relier avec les villes allemandes voisines. Enfin, la région Pays de la Loire propose deux lots, dont un lot tram-train, qui seront exploités à la fin de 2023.

L’objectif principal affiché par les régions est de dynamiser le transport ferroviaire de voyageurs en améliorant la qualité de service et en réduisant les coûts, jugés actuellement trop élevés pour assurer la rentabilité de l’exploitation. Les potentiels concurrents de la SNCF comptent bien améliorer l’offre de transport et l’efficacité de la gestion, l’enjeu sera donc pour eux de démontrer leur capacité à faire mieux que l’opérateur historique.

Etant donné le nombre de lots mis en concurrence et l’appétence confirmée de certains acteurs tels que Transdev, Régioneo ou Arriva, il est hautement probable que les premiers trains nationaux exploités par un opérateur alternatif à la SNCF circulent sur le réseau TER.  

Un démarrage plus tardif en Île-de-France mais avec des ambitions importantes !

Contrairement aux régions mentionnées précédemment, qui n’ouvrent à ce stade qu’une partie de leur réseau à la concurrence, l’Île-de-France a communiqué sur un calendrier d’ouverture de l’ensemble de son réseau ferroviaire.

L’ouverture concernera en premier lieu les lignes de tram-train, a priori plus simples à exploiter du fait d’un réseau dédié, d’une faible étendue géographique et de matériels récents. C’est le lot T4 / T11 qui marquera le début du processus, suivi ensuite du lot T12 / T13, avant d’attaquer de plus gros morceaux avec les lignes J et L au départ de Paris Saint-Lazare. Suivront ensuite les autres lignes de trains de banlieue ainsi que le RER E, avec un échelonnement jusqu’à décembre 2028. Le calendrier est en revanche nettement plus lointain pour les RER C & D (2039) et A & B (2040). Ces 2 dernières lignes, les plus fréquentées de France et coexploitées entre la SNCF et la RATP, seront ainsi mises en concurrence en dernier, il sera alors intéressant de voir si les lignes complètes seront mises en concurrence, mettant ainsi fin à la coexploitation, système hérité de l’histoire mais qui n’est certainement pas un optimum en matière d’efficacité !

L’ouverture à la concurrence s’annonce toutefois beaucoup plus complexe en Ile-de-France que dans les autres régions du fait de la fréquence élevée des trains, du volume de voyageurs et de l’interconnexion des lignes. Les candidats à l’exploitation de ces lignes seront sans doute moins nombreux du fait des spécificités du mass transit à maitriser.

L’open access aux abonnés absents !

L’ouverture des lignes de trains en open access, autorisée depuis décembre 2020, est au point mort, principalement à cause de la crise sanitaire. Les finances des principaux transporteurs ferroviaires sont asséchées, les habitudes de transport sont bouleversées et l’incertitude plane sur la durée de la crise : les déplacements professionnels entre les grandes villes sont réduits au minimum et le tourisme, notamment international, ne reprendra que très progressivement. Entre Thello, filiale de Trenitalia, qui avait prévu d’être le premier opérateur alternatif à la SNCF à faire rouler un train à grande vitesse sur la ligne Paris-Lyon-Milan, Flixtrain qui projetait d’ouvrir 5 lignes de type Intercités à la fin 2021 ou la RENFE, qui visait également un développement de trafics grande vitesse en France, les initiatives ne manquaient pas ! Mais la pandémie est passée par là et les projets ont été, au mieux, reportés sinon abandonnés dans le cas de Flixtrain. Il faudra probablement attendre que les voyageurs puissent à nouveau utiliser les transports longue distance normalement pour que les compagnies ferroviaires viennent se positionner sur des trafics en open access en France. Il sera également intéressant d’étudier l’évolution globale de la mobilité car certains des trafics visés sont déjà confrontés à la concurrence intermodale de l’aérien low cost, du bus longue distance et/ou du co-voiturage.

Dans ce contexte compliqué, la surprise viendra peut-être de RailCoop, qui envisage de relancer le Bordeaux-Lyon, dans un modèle coopératif complètement nouveau dans le paysage ferroviaire français !

Un bilan contrasté chez nos voisins européens

Depuis les années 1990, plusieurs de nos voisins ont expérimenté l’ouverture à la concurrence, avec toujours le même effet, l’offre de transport pour les services conventionnés a augmenté : plus 20% en Allemagne, plus 30% au Royaume-Uni et plus 53% en Suède !

L’impact sur la fréquentation suit la même tendance dans ces trois pays : le nombre de voyageurs augmente chaque année : 1,6% en Allemagne, 3,2% en Suède et jusqu’à 6% au Royaume-Uni. Même constat pour les pays comme l’Italie et la République Tchèque qui ont ouvert le réseau longue distance en open access et ont pu constater une hausse de la fréquentation. Cependant, tout n’est pas à mettre au crédit du transporteur, l’évolution de la démographie et la prise en compte croissante de l’impact environnemental étant également des facteurs de croissance des trafics ferroviaires.

Concernant les prix proposés aux voyageurs, ils ont tendance à augmenter plus vite que l’inflation mais peuvent intégrer un niveau de service plus élevé, il faut donc analyser ces éléments avec précaution. L’impact sur les prix des billets dépend également des choix des pouvoirs publics concernant le financement des services conventionnés. Cependant, la mise en place de la concurrence a incité les entreprises à produire leurs services de manière plus efficiente, en réduisant leurs coûts de production. En Suède et en Allemagne, entre le début de l’ouverture à la concurrence et 2015, les coûts d’exploitation ont baissé de 20% à 30%. Cette baisse n’est pourtant pas présente dans tous les pays, au Royaume-Uni les coûts d’exploitation ont à l’inverse augmenté de 25%.

L’exigence d’efficience a permis aux AOT de réduire la charge financière pour les services conventionnés : une baisse entre 10% et 43% pour la Suède, l’Allemagne et le Royaume-Uni. Cette baisse n’est, en revanche, pas constante dans le temps. Elle est surtout marquée lors de l’ouverture du marché, lorsque l’opérateur historique doit augmenter son efficience pour rester compétitif face aux nouveaux concurrents.

Concernant les services en open access, les prix des billets pour les lignes de train à grande vitesse et sur les grandes distances ont baissé. L’opérateur historique a baissé ses tarifs de 30% dès l’ouverture du marché sur la ligne Milan-Rome. En République Tchèque, le nouvel opérateur a proposé des billets 35% moins cher, et l’opérateur historique s’est aligné sur les nouveaux tarifs.

Le bilan reste toutefois contrasté avec des situations très disparates selon les pays, l’Angleterre allant même jusqu’à renationaliser une ligne précédemment passée sous giron privé, au vu des difficultés rencontrées par le nouvel opérateur.

Une attente partagée par tous : voir la concurrence à l’œuvre !

Quels que soient les acteurs du ferroviaire, tous ont désormais hâte de voir circuler les premiers trains exploités par un opérateur alternatif à la SNCF. Qu’il s’agisse des AOT, qui voudront juger sur pièce l’amélioration attendue de la qualité de service et des coûts, de la SNCF, qui défend son expertise historique et son bilan ou de SNCF Réseau, qui doit garantir un accès équitable au réseau ferré, nul doute que tous vont scruter à la loupe le démarrage de cette nouvelle ère libéralisée. En tant que citoyens et passionnés du transport ferroviaire, nous attendons également les premiers bilans de l’ouverture à la concurrence et espérons que ce processus débouchera sur une saine émulation entre opérateurs et des bénéfices aux bornes du système ferroviaire global.