C’est l’un des projets de la réforme des retraites de 2019.

Bien que le calendrier de mise en place du régime universel de retraite soit encore soumis à une forte incertitude liée d’une part à l’opposition exprimée lors de la parution du rapport Delevoye et d’autre part à un environnement fortement perturbé par la pandémie Covid-19, un projet se met en place en toute discrétion et peu visible du grand public. Ce n’était pas la mesure la plus emblématique du projet de réforme des retraites, mais le rapport Delevoye de juillet 2019 préconisait une « rationalisation des missions de recouvrement et de trésorerie ». Cette évolution était présentée comme une conséquence de la mise en place du système universel et comme une simplification des démarches pour les entreprises.

Aujourd’hui les missions de recouvrement sont partagées entre plusieurs organismes, certaines caisses notamment l’AGIRC-ARRCO opèrent encore leur propre recouvrement des cotisations de retraite. Le rapport Delevoye préconisait donc que le recouvrement soit désormais intégralement confié à un acteur unique : les URSSAF. Ces organismes assurent déjà le recouvrement des cotisations et contributions sociales autres que la retraite (chômage, formation, accident du travail).

En parallèle, la ministre des Solidarités et de la Santé et le ministre de l’Action et des Comptes publics avaient chargé Alexandre Gardette (administrateur général des finances publiques) de leur faire des propositions pour réformer le recouvrement fiscal et social. Le rapport remis en juillet 2019, contenait entre autres la préconisation suivante : « L’unification du recouvrement au sein de chaque sphère permettant de polariser le recouvrement social autour de l’ACOSS[1] et le recouvrement fiscal autour de la DGFIP ».

Le calendrier a été défini.

Cette volonté s’est ensuite concrétisée à travers l’article 18 de la Loi de financement de la Sécurité sociale (LFSS) 2020 qui étend les missions des URSSAF au recouvrement de l’ensemble des cotisations et contributions sociales dues au titre de l’emploi des salariés ou assimilés, dont les cotisations de retraite complémentaire AGIRC-ARRCO, à compter du 1er janvier 2022.

Le projet de transfert des opérations de recouvrement de l’AGIRC-ARRCO vers les URSSAF est donc lancé sous le pilotage de la direction de la sécurité sociale (DSS) et avec la participation active des parties prenantes : URSSAF et AGIRC-ARRCO.

Une première difficulté se fait jour rapidement.

Cette évolution présente une difficulté technique qui a été rapidement soulignée par les opposants à ce projet.

Le recouvrement habituellement opéré par les URSSAF est un recouvrement ‘globalisé’, opéré sur du déclaratif de l’entreprise, l’URSSAF se réservant ensuite un droit de vérification (sous forme de contrôle au sein de l’entreprise) puis éventuellement celui de ‘redresser’ l’entreprise si les déclarations s‘avèrent erronées.

Pour sa part l’AGIRC-ARRCO si elle procède bien à un recouvrement global (pour tous les salariés de l’entreprise), elle détermine ensuite les droits (points) à partir des cotisations individuelles (par salarié). Jusqu’à présent, l’AGIRC-ARRCO consolidait ses cotisations calculées (individuelles) pour les agréger et les mettre en recouvrement. Une comparaison entre ces cotisations calculées et les cotisations déclarées par les entreprises lui permettait d’identifier des erreurs de déclaration des entreprises et de justifier le recouvrement des cotisations calculées. 

Il est vrai que dans l’état actuel des choses ces manières de faire semblent difficilement compatibles (il faudrait changer les processus, faire évoluer les SI, …)  et c’est bien le principal argument avancé par les opposants au projet arguant du fait que sur un plan purement technique l’ACOSS n’a pas la capacité d’assurer le recouvrement des cotisations AGIRC-ARRCO : la granularité des URSSAF n’est pas l’individu.

Le débat est lancé !

Le débat a donc été lancé : les partenaires sociaux, gestionnaires du régime, font état de risque d’erreurs en matière de calcul des droits. On entend parler de risque de bug, même de risque industriel !  (Jean-Claude Mailly, ex-secrétaire général de Force ouvrière pour Previssima).

Des scénarios alternatifs, mixtes ont été proposés : le régime AGIRC-ARRCO  ‘lâcherait’ aux URSSAF l’encaissement amiable ou forcé des cotisations, en contrepartie du maintien à l’AGIRC-ARRCO des compétences liées à la fiabilisation des montants de cotisations acquittées, les corrections d’anomalies de carrière et l’affectation des droits individuels. « Cela permettrait de capitaliser sur les forces respectives des deux réseaux », explique Jean-Claude Barboul, (président AGIRC-ARRCO, CFDT).

Plus loin que la technique.

Mais attention, ces problématiques techniques bien réelles masquent des enjeux politiques et sociaux. Politique, car la centralisation vers les URSSAF est vue par les partenaires sociaux comme une remise en cause du paritarisme qui est l’ADN de l’AGIRC-ARRCO :  plus de pouvoir pour l’état, moins pour les partenaires sociaux. A mettre en parallèle avec ce qui s’est passé sur la réforme de l’assurance-chômage.

D’autre part, d’un point de vue RH, ce transfert pose la question du devenir des 3 000 salariés qui sont affectés aux tâches de fiabilisations et corrections des droits individuels dans les groupes de protection sociale, pour le compte de l’AGIRC-ARRCO.

Des solutions encore à préciser.

Ces enjeux politiques et sociaux influent donc fortement sur les problématiques techniques. Mais en oubliant les scénarios catastrophes, n’est-il pas possible si l’on reconsidère objectivement toutes les données du problème de trouver un scénario viable, de trouver la ‘voie du milieu’ ? Toutes les questions doivent être remises sur la table pour trouver des solutions qui satisfassent le besoin d’un recouvrement efficace et économique et d’autre part la sécurité et fiabilité dans l’attribution des droits aux assurés. Cela demande probablement de reconsidérer des pratiques actuelles au regard des objectifs d’efficacité, simplicité et de réduction des coûts demandés par le gouvernement ?

Où en sommes-nous ?

A ce jour (mai 2021) les travaux se poursuivent sur la base du dernier scénario en vigueur, à savoir :

  1. Le transfert du recouvrement des cotisations relatives aux exercices 2022 et postérieurs aux URSSAF.
  1. Le transfert de l’interlocution client sur le recouvrement et la fiabilisation des déclarations sociales nominatives (DSN[2]) aux URSSAF sur le périmètre transféré.
  2. Le maintien de la responsabilité de la communauté AGIRC-ARRCO sur la fiabilisation des DSN et sur l’adhésion et l’attribution des droits.

Mais des ajustements sont encore à arbitrer, des variantes pourraient apparaître avec par exemple une mise en place progressive en 2 temps : une phase de démarrage dite ‘pilote’ au premier janvier 2022, avec une généralisation au premier janvier 2023. Puis, progressivement un recouvrement et une interlocution entreprise complétement gérés par les URSSAF.

Conclusion …provisoire

Sur ce projet la volonté politique est donc bien présente et même renforcée par les échéances électorales. Ce projet se doit de réussir pour montrer que la réforme des retraites se met en place progressivement, et même si on ne parle plus d’une grande réforme systémique des retraites, on assiste à une avancée. C’est une manière pour l’Etat, de mettre un pied dans le système universel de retraite.

Pour revenir sur le sujet du paritarisme et à l’instar de ce qui s’est passé sur la réforme de l’assurance-chômage, nous constatons que la question de la place du paritarisme dans la protection sociale est prégnante et nous reviendrons sur ce sujet lors d’une prochaine publication. A suivre donc, de près !


[1] L’ACOSS est la Caisse nationale du réseau des URSSAF, 22 URSSAF assurent la collecte des cotisations et leur redistribution destinées à garantir le financement du modèle social français.

[2] DSN : déclaration en ligne produite à partir de la fiche de paie qui sert à payer les cotisations sociales et à transmettre les données sur les salariés aux organismes sociaux (Pôle emploi, CPAM, URSSAF, etc.).