La mise en place de la 5° branche de la Sécurité Sociale présente un curieux paradoxe. En effet alors que toutes les parties-prenantes s’accordent à en souligner l’importance et la nécessité, l’avancement en est pour le moins laborieux ! Pour illustration un récent article de l’Argus de l’Assurance alertait en posant la question << Le projet de loi grand âge et autonomie qui devait être un marqueur social du quinquennat, sera-t-il une victime collatérale du Covid-19 ? >> .[1]

Depuis une quinzaine d’années plusieurs gouvernements se sont penchés sur le sujet mais en achoppant sur la question cruciale du financement. La prise en charge des dépenses pour les personnes en perte d’autonomie présente un besoin en financement considérable et qui ne fait qu’augmenter. En France avec le vieillissement de la population, la perte d’autonomie des personnes âgées devient une équation de plus en plus complexe et couteuse à résoudre. Une avancée majeure a eu lieu en juillet 2020 avec le vote au Parlement de l’ajout d’une 5è branche dédiée à l’autonomie des personnes âgées et des personnes handicapées. Ensuite le PLFSS (projet de loi de financement de la sécurité sociale) 2021 a organisé le financement de la cinquième branche et confié sa gouvernance à la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA). L’étape suivante, un projet de loi (PJL) qui doit préciser les contours et le fonctionnement de la cinquième branche est toujours attendue.

Mais récemment, diverses voix gouvernementales ont annoncé un report du projet de loi autonomie (PJL), notamment celle de Brigitte Bourguignon, ministre déléguée à l’Autonomie. De l’avis des professionnels du secteur, personne ne connaît l’état d’avancement du PJL, ni n’a idée de son éventuel contenu. L’inquiétude pointe !

Alors pourquoi ? Bien que la situation due au COVID-19 soit la première explication avancée, et probablement justifiée, existe-t-il d’autres raisons à ce retard ?

Le financement ?

Le financement reste la question centrale car à ce stade les textes actent avant tout d’une réorganisation mais ne précisent pas les modalités d’une nécessaire augmentation des moyens alloués à l’autonomie. Les besoins financiers ont été évalués l’an passé par le président du Haut Conseil du financement de la protection sociale Dominique Libault à 6,2 milliards d’euros annuels supplémentaires en 2024, 9,2 milliards en 2030. Le PLFSS 2021 commence à donner corps à cette nouvelle branche de la sécurité sociale, mais il y manque un cadrage précis des prestations qui seront servies par la branche Autonomie. Le financement est précisé pour la reprise de l’existant mais pas pour les ressources supplémentaires.

L’importance des chantiers ?

Supposons le problème du financement réglé, pour autant l’importance des chantiers nécessaires peut inquiéter car se poseront rapidement les questions de la mise en œuvre, des choix de solutions, des modalités de réalisation. Par exemple : rénovation des 3 800 Ehpad publics (Etablissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes), réduction du reste à charge des familles de résidents en Ehpad (1850 euros mensuels en moyenne[2]), rémunération des intervenants à domicile, soutien des 3,9 millions d’aidants qui aujourd’hui s’occupent bénévolement d’un proche…

Encore des rapports !

Un signe inquiétant est la multiplication des rapports.  Après les nombreux rapports remis en 2019 (Libault, Bonne-Meunier, El Khomri…), deux nouvelles missions ont été lancées fin 2020 :  une mission sur l’adaptation des logements au vieillissement, une mission sur l’attractivité des métiers du grand âge. La tentation est grande d’y voir des manœuvres dilatoires.

Et la place des assureurs ?

Les assureurs complémentaires n’ont pas été impliqués par les pouvoirs publics dans les travaux, bien que des propositions aient été faites par la Fédération Française de l’Assurance (FFA) et la Fédération Nationale de la Mutualité Française (FNMF).  Mais récemment Marie-Anne Montchamp, présidente de la CNSA, la future structure de tête de cette 5° branche, a exprimé son souhait de redéfinir la contribution des assureurs à la politique de l’autonomie, loin des approches idéologiques qui opposeraient la solidarité nationale et la complémentarité de l’assurance, et ouvre ainsi la porte à « une réflexion d’hommes et de femmes de bonne volonté sur la nature même de cette complémentarité, son essence. »

Il serait donc regrettable que les organismes d’assurance n’avancent pas sur le sujet de la dépendance en risquant d’être en quelque sorte les témoins de choix qui les mettraient devant le fait accompli et enfermés dans un rôle de supplétif et de payeur aveugle. Comme préconisé par M-A Montchamp, les assureurs ont intérêt à investir les sujets de la prévention, du conseil, des outils permettant de développer les services à la personne, de favoriser le maintien à domicile. Certains le font déjà et nous voyons se développer :

  • Des services d’assistance destinés à orienter et aider l’assuré dépendant pour trouver l’établissement adapté
  • La mise en place des services d’aide à domicile
  • L’accès à un soutien psychologique
  • L’accompagnement des aidants, au cœur de la prise en charge de la dépendance
  • Le recours au digital et la téléassistance

Cette liste n’est pas exhaustive, et ce sont l’innovation et la créativité qui permettront à toutes les familles de l’assurance, de trouver leur place dans le défi du prolongement de l’autonomie.

Le sujet de la  dépendance et de son corollaire le prolongement du maintien à domicile et de l’autonomie sont des enjeux majeurs pour nos sociétés. L’état a un rôle de protection vis-à-vis des plus faibles et démunis, et il se doit de parvenir à faire avancer la mise en place malgré les évènements.  Aux organismes d’assurance de trouver les bons axes pour au-delà de couvrir les frais de services à la personne, de soins ou d’hébergement en maison de retraite, d’œuvrer pour prévenir et reculer le plus tard possible l’arrivée de la dépendance. Un chantier énorme est ouvert quels que soient les choix gouvernementaux.

En guise de conclusion, rappelons-nous la première phrase du rapport Libault ,‘Concertation grand âge et autonomie’ de Mars 2019

<< Nous vieillissons, la France vieillit. Pour paraphraser La Fontaine, il n’est rien de moins ignoré, rien où l’on soit moins préparé.>>


[1]Dépendance, une réforme qui s’éloigne’ Laure VIEL dans l’Argus de l’Assurance le 17/02/2021.

[2] DREES (Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques) :  le reste à charge atteint 1 850 € par mois et excède les ressources courantes de la personne âgée dans 75 % des cas.