Et si l’expérience du voyage en Europe changeait ? Après quelques années difficiles, le train de nuit fait son grand retour sur le Vieux Continent ! Certes, les rames de nuit d’aujourd’hui ne sont pas aussi luxueuses que celles du fameux Orient Express, quoique… Mais elles sont de plus en plus prisées par les passagers pour voyager entre les grandes villes européennes, et ce, pendant leur sommeil !
Bref historique du train de nuit en France
Apparu à la fin du XIXème siècle et démocratisé au début du XXème, le train de nuit, avec ses voitures couchettes si caractéristiques, a bien failli s’éteindre en France. En effet, après son âge d’or dans les années 1960, le développement du TGV et l’apparition des vols low-costs ont rapproché les villes, au détriment des lignes de nuit qui ont ainsi perdu de leur raison d’être.
La politique commerciale de la SNCF, longtemps concentrée sur le TGV, a obéré les chances de développement ce mode de transport : le matériel roulant n’a pas été renouvelé, et avec des arguments de manque de rentabilité et d’absence de clientèle, la quasi-totalité des lignes ont été supprimées en 2016 : de 67 lignes en 2000, il n’en subsiste que 2 : les lignes de Briançon, et de Toulouse et ses branches pour Latour-de-Carol (Ariège et Pyrénées-Orientales) et Rodez.
Seulement, le train de nuit n’a pas dit son dernier mot : les voyageurs se montrent de plus en plus intéressés par ce type de voyage, véritable alternative aux vols low-cost dans cette période de forte prise de conscience écologique. D’ailleurs, des initiatives visant à interdire les vols lorsqu’une alternative en train existe sur des parcours de moins de 2h30 apparaissent. Bien que ces trajets soient trop courts pour être faits en train de nuit, des initiatives plus ambitieuses pourront favoriser le train nocturne. Son retour a commencé, que ce soit en France ou dans d’autres pays européens : les entreprises ferroviaires ont conscience de l’enjeu et du potentiel de ce type de voyage.
Un retour des lignes de train de nuit en Europe porté par ÖBB
Si comme la France, l’Allemagne a également supprimé ses lignes de train de nuit en 2016, elles n’ont pas été amputées de la même manière dans les pays voisins. En Italie par exemple, elles restent largement empruntées pour traverser le pays sur l’axe nord-sud, les vols low-cost n’ayant pas réussi à s’imposer.
Le potentiel identifié du train de nuit et l’engouement des voyageurs pour ce mode de transport expliquent le développement de nouvelles lignes en Europe, y compris transfrontalières. Le changement des mentalités des voyageurs est certainement un levier important : pour éviter de prendre l’avion entre les villes européennes et ainsi réduire son empreinte carbone, voyager dans un train de nuit confortable semble la solution idéale.
Au niveau européen, c’est le transporteur historique autrichien ÖBB qui fait figure de leader dans le train de nuit via sa filiale Nightjet, qui dessert tous les jours depuis 2016 de grandes villes européennes comme Vienne, Berlin, Munich, Zurich, Milan ou Rome. La façon de voyager s’adapte à tous les budgets : du simple siège au compartiment de luxe avec lit, en passant par des compartiment-couchettes à plusieurs et un compartiment dédié aux personnes à mobilité réduite (1 par train). Cette offre, riche et adaptable, attire de plus en plus de voyageurs, et représente aujourd’hui 20% du chiffre d’affaires de la compagnie autrichienne. Une réussite donc pour ÖBB, qui inspire d’autres entreprises pour se lancer dans l’aventure : de nouvelles liaisons s’ouvrent partout en Europe et de nombreux projets ambitieux sont prévus pour les quelques années à venir. Le réseau de train de nuit devrait donc s’étoffer et il sera alors plus facile pour les voyageurs de parcourir le Vieux Continent.
De nouvelles initiatives en Europe…
Transdev a annoncé cette année l’ouverture de la ligne Stockholm – Copenhague – Berlin, et ce, sans subvention publique. Cette ligne est une nouveauté et montre l’ambition des transporteurs de faire revivre le train de nuit en Europe. De même, Arriva, filiale de la Deutsche Bahn (opérateur historique allemand), souhaite ouvrir trois nouvelles lignes de trains régionaux – en open access – qui circuleront de nuit aux Pays-Bas. Deux des trois lignes relieront l’aéroport Schiphol (Amsterdam) à Maastricht et Groningen. Si la proposition d’Arriva est acceptée, les premiers trains circuleront dès décembre 2022.
Le marché du train de nuit attire également les nouveaux venus, comme la startup française Midnight Trains, qui compte réinventer l’expérience du voyage ferroviaire de nuit : elle veut allier confort et praticité en faisant rouler de véritables hôtels sur rail pour relier Paris à de nombreuses grandes villes européennes comme Madrid, Porto, Edimbourg, Berlin ou encore Copenhague. Les premiers trains pourraient circuler dès 2024. Selon la compagnie, les passagers voyageront dans des chambres privatives, disposant d’une salle de bain individuelle et d’une très bonne literie, tout en ayant accès à un service de restauration : un confort certain, proche de celui d’un hôtel. Bien que le prix des billets ne soit pas encore connu, la startup affirme que le prix sera raisonnable et proche de ce que peut proposer la SNCF aujourd’hui. Une ambition qui redorera sans doute l’image laissée par les trains Corail des dernières décennies et qui attirera la curiosité des voyageurs.
Alors que le train de nuit effectue son grand retour sur la scène européenne, Thello – filiale de Trenitalia – a surpris en arrêtant de faire circuler ses trains de nuit entre Paris et Venise, une décision effective depuis le 1er juillet. La crise du Covid n’y est sans doute pas pour rien puisqu’aucun train ne circulait sur cet axe depuis mars 2020. Thello laisse donc une place vacante pour le trajet Paris – Venise, qui intéresse notamment Midnight Trains. La startup envisage notamment d’ouvrir une ligne entre Paris et Rome, via Florence, et une ligne entre Paris et Venise, mais pas avant 2024 !
…et en France…
Le train de nuit revient également en France, avec notamment la réouverture de la ligne Paris – Nice le 20 mai dernier, avec un prix raisonnable qui concurrence largement les vols low-cost : entre 19 et 30€ l’aller. De même, un Intercités de nuit effectuera dès cette année le trajet entre Paris et Tarbes. D’ailleurs, pour faire face au vieillissement des trains de nuit sur ces deux lignes, 100 millions d’euros ont été alloués pour la rénovation des 22 voitures. Au total, ce seront donc 93 voitures qui seront rénovées d’ici mi-2023.
La SNCF souhaite également participer au développement du train de nuit en proposant une offre transeuropéenne. Elle a signé en décembre dernier un accord avec ÖBB, la Deutsche Bahn et les CFF (opérateur historique suisse) qui prévoit l’ouverture de nouvelles lignes : Paris – Vienne dès décembre 2021, Paris – Berlin dès 2023 et enfin, Barcelone – Zurich via Montpellier dès 2024.
… mais qui risquent de rencontrer quelques difficultés
Le développement des lignes nocturnes va s’accélérer dans les prochains mois et années, et va se confronter à une probable tension sur le matériel roulant. En effet, de nombreuses voitures couchettes ont été recyclées après la fermeture des lignes ces dernières années et le parc existant est par conséquent assez limité. La rénovation des voitures est cependant essentielle pour pouvoir ouvrir les lignes comme prévu.
De plus, les opérateurs de train de nuit risquent d’être confrontés aux mêmes difficultés que les opérateurs de fret concernant la disponibilité et la qualité des sillons de long parcours la nuit. En effet, en période de fort volume de travaux sur l’infrastructure (comme c’est le cas actuellement en France notamment), la capacité disponible pour les circulations nocturnes est nécessairement très limitée, puisque ces travaux s’effectuent principalement de nuit.
Du matériel rénové, des prix attractifs, et de nouvelles lignes en Europe… Porté par la réussite de Nightjet, la filiale d’ÖBB, le train de nuit semble avoir un bel avenir devant lui. Il reste cependant une incertitude sur son équilibre économique : les lignes nocturnes ont pour la plupart été fermées car elles n’étaient pas assez rentables, la situation est-elle à ce point différente aujourd’hui pour garantir que l’offre rencontrera le marché ? Il sera donc intéressant d’observer dans les prochaines années l’essor et l’évolution du train de nuit, certainement portés par l’attrait qu’ont les voyageurs pour cette façon de voyager et par son impact dans la décarbonation du transport européen.