Suite de nos 2 publications :

« La réforme des retraites en marche… Un projet discret »

« La réforme du transfert du recouvrement des cotisations Agirc-Arrco vers les Urssaf repoussée… »

Dans de précédentes publications nous avions traité du projet de transfert du recouvrement des cotisations Agirc-Arrco aux Urssaf. Ce transfert, recommandé depuis plusieurs années par la Cour des comptes, devrait procurer trois avantages principaux :

  • Améliorer la performance du recouvrement,
  • Réaliser des économies de gestion grâce à la mutualisation des moyens,
  • Et enfin simplifier les démarches des entreprises par la mise en place d’un interlocuteur unique.

Initialement prévue pour 2022, un décalage dans la mise en œuvre effective de la réforme a été annoncé en juin 2021 [1] , à la demande des partenaires sociaux qui gèrent le régime complémentaire Agirc-Arrco. Le transfert du recouvrement a donc été renvoyé à 2023, après une phase de tests en 2022 avec les éditeurs de logiciel de paie.

Vers un nouveau report ?

Mais le 22 juin 2022, la Mission d’évaluation et de contrôle de la Sécurité sociale (MECSS) du Sénat a publié un rapport d’information qui préconise de reporter à 2024 le transfert du recouvrement des cotisations Agirc-Arrco aux Urssaf. [2]

Et bien que les travaux des rapporteurs aient permis de démontrer que la performance des Urssaf en matière de recouvrement est meilleure que celle de l’Agirc-Arrco, ils déclarent néanmoins que les conditions d’un transfert du recouvrement des cotisations de retraite complémentaire en 2023 ne sont pas réunies, le transfert présentant plus d’inconvénients que d’avantages en l’état.

Quels sont les arguments avancés par les rapporteurs et pourquoi demander le report de la mesure ?

  • Premier écueil :  les sénateurs mettent un bémol sur << les capacités de fiabilisation des données individuelles de la déclaration sociale nominative (DSN)>>.  
  • Ensuite ils notent le risque de susciter une forte illisibilité par le maintien d’une double interlocution pour l’entreprise (Urssaf/Agirc-Arrco)
  • Ils jugent que la phase pilote menée avec les éditeurs afin de tester les modalités de contrôle retenues en vue du transfert est encore trop peu représentative
  • Ils estiment que l’alignement des dates d’appel des cotisations sur celles des Urssaf, soit une anticipation de 10 ou 20 jours, représenterait un impact de 6 milliards d’euros sur la trésorerie des entreprises.
  • Par ailleurs, le niveau des économies attendues paraît relativement limité, tout comme la simplification des démarches des employeurs, toujours selon les rapporteurs.

 “Compte tenu de l’enjeu de sécurisation des droits à retraite complémentaire des 20 millions de salariés affiliés à l’Agirc-Arrco, il n’est pas envisageable de mener à bien le transfert aux Urssaf à l’échéance du 1er janvier 2023”, ont estimé les sénateurs René-Paul Savary et Cathy Apourceau-Poly, dans un communiqué.

Les sénateurs préconisent donc un report à 2024, « dans l’attente d’une clarification de la répartition des responsabilités entre l’Agirc-Arrco et les Urssaf et la constatation de la qualité des dispositifs de fiabilisation mis en œuvre par les Urssaf » et jugent « préférable de décréter un moratoire sur ce transfert », le temps pour les Urssaf de faire la preuve de « solides avancées » en matière de fiabilisation des données individuelles et de convaincre les partenaires sociaux, opposés à ce projet. Enfin ils envisagent de faire constater les progrès par un tiers, qui pourrait être la Cour des comptes, avant que la décision de poursuivre ou d’abandonner le projet ne soit prise.

La réponse de l’URSAFF

Yann-Gaël Amghar, directeur de l’Urssaf, dans un récent article dans Capital[3] affirme que ce rapport comporte des erreurs et qu’il n’y a pas de risque pour la fiabilité des informations transmises. Le directeur de l’Urssaf rappelle l’existence d’un large mouvement de prise en charge du recouvrement des cotisations par les Urssaf :  En 2011, avec l’Unedic puis le RSI en 2018 pour les plus marquants.  Le premier objectif de ce mouvement est de simplifier la vie des usagers et d’améliorer le service rendu. Le deuxième objectif, de nature économique est l’amélioration de la performance du recouvrement. Lors des évaluations réalisées sur la reprise du recouvrement Agirc-Arrco, avec une hypothèse plutôt prudente l’Urssaf déclare se situer à 400 millions d’amélioration du recouvrement. À cela s’ajouterait le gain qui pourrait être obtenu par l’amélioration des contrôles, estimé à 280 millions d’euros. Il faut aussi mettre en perspective les économies de gestion réalisées, on parle de 800 postes pour l’Agirc-Arrco précise le directeur de l’Urssaf.

Par rapport aux argument avancés par les sénateurs, Yann-Gaël Amghar estime que la question de la fiabilisation des données est instrumentalisée. Car contrairement à ce qui est dit dans le rapport, ces contrôles n’ont pas vocation à disparaître et l’Agirc-Arrco continuera, après le transfert du recouvrement, à exercer cette activité sur ses outils, avec ses équipes. Il n’y aura donc pas de recul sur la qualité des données de retraite complémentaire.  L’Urssaf se déclare donc prêt pour réaliser ce transfert au 1er janvier 2023.

A noter que l’opération ne serait pas anodine, puisqu’avec plus de 80 milliards d’euros de cotisations supplémentaires et l’augmentation de son périmètre, l’Urssaf gravirait une marche stratégique dans sa transformation en recouvreur social à vocation universelle.

Et maintenant ?

Les partenaires sociaux qui gèrent le régime complémentaire Agirc-Arrco ont exprimé dès le départ du projet les difficultés et leurs inquiétudes. Sur les aspects techniques mis en avant dans le rapport des sénateurs mais aussi sur l’impact pour les salariés des groupes de protection sociale : quel devenir pour les salariés impactés, possibilité de reprise par les Urssaf et pour quelles taches ? Toutes les questions qui se posent lors d’un transfert d’acticité. Pour les syndicats de ces groupes ce transfert du recouvrement des cotisations vers l’Urssaf est la première étape de la mise en place de la réforme vers un système universel et il affecterait significativement le personnel de la branche recouvrement.

La décision est désormais dans les mains de l’État, car au-delà de la technique c’est un choix de nature politique. Un décret, avait reporté la mise en place du dispositif du 1er janvier 2022 au 1er janvier 2023. Il est donc tout à fait possible qu’un nouveau décret décale encore le transfert du recouvrement des cotisations.

La suite au prochain numéro !


[1] Communiqué de presse jeudi 17 juin 2021

[2] https://www.senat.fr/rap/r21-725/r21-7251.pdf

[3] Capital le 29/06/2022 – Adeline Lorence : Retraite complémentaire Agirc-Arrco : l’Urssaf est prête pour recouvrer les cotisations dès 2023