A l’occasion de la semaine du Développement Durable, Kern Consulting lance sa série de 7 publications relatives au rôle des organismes d’assurance et en particulier de leurs superviseurs face au changement climatique. La première publication présente les superviseurs de l’assurance, leur mission et l’impact du changement climatique sur le secteur de l’assurance. La série se conclura en pleine COP26, conférence annuelle rassemblant les Etats sous l’égide de l’ONU pour renforcer les engagements pris pour lutter contre le changement climatique et évaluer les actions déjà engagées en ce sens.

Le secteur de l’assurance européen est soumis à une supervision prudentielle s’inscrivant dans le cadre européen, via :

  • Une autorité européenne, l’EIOPA[1]. Ses principales missions, fixées par une directive et deux règlements européens[2], consistent à coordonner et harmoniser les pratiques de surveillance des différentes autorités nationales via l’adoption de normes contraignantes et d’orientations, d’évaluer les risques et vulnérabilités dans le secteur européen des assurances – notamment à l’aide de rapports réguliers d’évaluation des risques et de simulations de crises paneuropéennes – et de conseiller la Commission, le Conseil et le Parlement Européens dans le cadre de l’évolution de la réglementation.
  • Une autorité nationale par pays, l’ACPR[3] en France. Ses missions relatives au secteur de l’assurance sont fixées par le Code Monétaire et Financier[4] dans le cadre prévu par les textes européens et en coordination avec l’EIOPA. Elle est chargée d’assurer la supervision prudentielle des organismes d’assurance français dans une optique de stabilité financière, de prévenir et traiter les difficultés rencontrées par ces organismes, de protéger leur clientèle et de contribuer à l’évolution du cadre réglementaire et à la coopération internationale.

Le changement climatique affecte ces superviseurs à trois titres :

Au titre de l’impact direct ou indirect sur les passifs et actifs des organismes d’assurance

D’une part, le changement climatique impacte les engagements au passif des organismes d’assurance, c’est-à-dire les aléas qu’ils se sont engagés à couvrir.
Il faut tenir compte des risques liés à l’augmentation de la fréquence, de l’intensité et donc du coût des évènements climatiques extrêmes. Il peut s’agir d’effets directs, par exemple la destruction de biens assurés, ou indirects, notamment l’augmentation de la mortalité et de la morbidité liée aux risques de pandémie ou de vagues de chaleur fragilisant les populations assurées et favorisant la propagation de maladies tropicales.
Ces risques peuvent survenir à court, moyen et long terme, avec un historique qui ne semble pas représentatif des risques futurs, ce qui nécessite d’adapter les modèles statistiques s’appuyant sur le passé. Aucune branche de l’assurance ne semble épargnée, même si certaines nécessiteront probablement des modifications en profondeur des équilibres économiques entre la prise en charge par les assurés, par les pouvoirs publics ou par les organismes d’assurance, voire de nouvelles politiques publiques. A défaut, la question même de l’assurabilité de ces risques se posera à moyen terme. A court terme, l’équilibre et le coût de la réassurance de ces sinistres sont également en question.

D’autre part, certains secteurs d’activité perdent de leur attractivité économique à moyen terme, modifiant l’équilibre rendement / risque de certains investissements : disparition ou bouleversement en profondeur d’acteurs ou même de marchés, baisse de rentabilité, etc. C’est le risque par exemple pour des sociétés dont le modèle repose sur d’importantes émissions de gaz à effet de serre (pétrole, ciment, etc.).

Ainsi, les organismes d’assurance risquent d’être pris en étau entre l’augmentation du coût du risque et la diminution des rendements des actifs, fragilisant leur équilibre économique et mettant en péril la stabilité financière, l’un des objectifs principaux poursuivis par les superviseurs.

Au titre du financement de l’économie par les investisseurs institutionnels que sont les organismes d’assurance

Le secteur de l’assurance est en mesure de peser fortement dans les choix d’investissement de transition, pour trois raisons :

  • sa capacité financière considérable – près de 11 000 milliards d’actifs au niveau européen[5] ;
  • son expérience des investissements de long terme dans les infrastructures et les entreprises, cotées ou non ;
  • l’oreille des pouvoirs publics, du fait de sa taille économique mais aussi sociale – 945 000 salariés en Europe fin 2019[6].

S’il ne prend pas toute la place qui est la sienne dans la transition via ses investissements, le secteur de l’assurance a le pouvoir de ralentir fortement la transition, donc d’aggraver le changement climatique et d’augmenter significativement les désordres sociétaux. Cela mettrait à mal l’objectif des superviseurs de stabilité financière et de protection de la clientèle.

Au titre de la raison d’être du secteur de l’assurance 

Enfin, les superviseurs sont conscients du rôle historique rempli par le secteur de l’assurance, à savoir la prévention et la protection contre les aléas. L’existence d’organismes à but non lucratif (mutuelles, institutions de prévoyance) et la notion de mutualisation du risque fondatrice de l’assurance, que tous les acteurs du secteur ont en tête, poussent les organismes, leurs collaborateurs et les superviseurs à faire face proactivement à cet immense défi.

Si le secteur de l’assurance ne montre pas l’exemple, alors qu’il est directement touché, que sa mission est de protéger, et qu’il a les moyens d’agir avec un fort effet de levier, sa crédibilité en sera durablement affectée, mettant de nouveau à mal l’objectif de stabilité financière des superviseurs.

La semaine prochaine, dans la deuxième publication de cette série, nous expliquerons que les superviseurs ont compris l’urgence du sujet, l’ont priorisé, et comment ils créent des outils spécifiques au changement climatique, ou adaptent les outils existants.


[1] European Insurance and Occupational Pensions Authority

[2] Règlement européen 1094/2010 instituant l’EIOPA, amendé par la Directive 2014/51/UE précisant les pouvoirs des autorités européennes de supervision, puis par le règlement européen 2019/2175 étendant leurs pouvoirs à la suite de la crise financière : https://eur-lex.europa.eu/legal-content/EN/TXT/?uri=CELEX%3A02010R1094-20200101&qid=1625144051209

[3] Autorité de Contrôle Prudentiel et de Résolution

[4] Articles L. 612-1 à 3 : https://www.legifrance.gouv.fr/codes/id/LEGISCTA000021724276/

[5] https://www.eiopa.europa.eu/tools-and-data/insurance-statistics_en

[6] https://insuranceeurope.eu/publications/688/european-insurance-key-facts-2019-data/Key%20facts-2019%20data.pdf