Développement de la grande vitesse ferroviaire à travers le monde : enjeux économiques, sociaux et environnementaux

par | 3 juin 2024 | Transport

Ces dernières années, de nouveau pays se sont lancés dans l’aventure du train à grande vitesse, notamment le Maroc (ligne Tanger – Khenitra inaugurée en 2018) et l’Indonésie (ligne Jakarta – Bandung inaugurée en 2023) qui voient à travers ce nouveau mode de transport un vecteur d’accélération de leur développement socio-économique. 

En France, le réseau des lignes à grande à vitesse (LGV) s’est considérablement étendu depuis la mise en service de la 1ère ligne au début des années 1980 (LGV Paris-Lyon) et il constitue aujourd’hui un mode de transport incontournable pour de nombreux français. Le réseau LGV devrait continuer à s’accroître dans les prochaines décennies à commencer par le Grand projet du Sud Ouest (LGV Bordeaux – Toulouse) dont le chantier a démarré le 7 mai dernier et qui permettra de relier Paris à Toulouse en 3 heures d’ici 2032. 

Toutefois, est-ce que ces projets de construction de LGV sont économiquement viables? Quels sont les impacts socio-économiques et environnementaux du train à grande vitesse sur les territoires ? 

Voici un tour d’horizon du développement de la grande vitesse à travers le monde…. 

Le modèle LGV continue à séduire : de nouvelles lignes se construisent à travers le monde

carte grand projet ligne à grande vitesse
Les derniers projets LGV dans le monde

Ces dernières années, de nombreux pays ont entrepris le développement de leur réseau de lignes grande vitesse. Toutefois, l’avancement de ce développement varie considérablement d’un pays à l’autre.  

 Les LGV en Europe  

À travers divers projets grande vitesse tels que le High Speed 2 en Angleterre ou la ligne Stuttgart-Ulm en Allemagne, les pays européens concentrent leurs efforts sur la connectivité territoriale et l’intégration européenne du réseau, visant à faciliter les échanges entre les grandes capitales. Néanmoins, ces projets de normalisation du réseau se heurtent à plusieurs défis, notamment les disparités techniques entre les pays, telles que les normes de courant ou les dimensions des rails. 

 Les LGV en Asie 

Durant ces 15 dernières années, la Chine a considérablement étendu son réseau ferroviaire en construisant plus de 26 000 km de lignes grande vitesse, avec pour objectif d’atteindre plus de 45 000 km. Parallèlement, la Chine a réalisé d’importants investissements en recherche et développement pour concevoir de nouveaux trains capables de dépasser les 450 km/h lors d’essais. À l’instar des défis rencontrés en Europe, la Chine vise à améliorer les déplacements à l’intérieur du pays tout en ayant pour ambition à moyen terme de relier le réseau ferré chinois aux grandes villes d’Asie, notamment Bangkok. Dans cette perspective de coopération régionale, la Chine partage son expertise en matière de technologie ferroviaire avec des pays voisins tels que la Thaïlande. 

Les LGV aux Etats Unis 

Malgré un fort potentiel, le secteur des lignes grande vitesse aux États-Unis accuse un retard significatif par rapport à l’Europe ou à l’Asie. En raison de la géographie montagneuse et d’une culture de l’automobile bien ancrée, seulement 54 km de lignes grande vitesse ont été construits. Pour combler ce retard, Joe Biden a promis d’importants investissements, notamment à travers un projet californien de ligne grande vitesse reliant Las Vegas à Los Angeles. 

La construction d’une LGV: un projet pas toujours rentable

En France, bien que le niveau de rentabilité varie de manière importante d’une LGV à l’autre, on peut déjà établir un bilan « après-projet » sur les constructions de LGV lancées avant 2004 dont le taux de rentabilité interne économique avait été calculé par leur maître d’ouvrage (SNCF Réseau) et l’Etat sur une durée de 20 ans. 

A l’exception de la LGV Nord Europe entre Paris et Lille, l’ensemble des projets de construction de LGV sont rentables. Cette rentabilité s’explique notamment par le fort niveau de trafic dont bénéficie le réseau français. En effet, les recettes des projets de constructions ferroviaires proviennent des péages prélevés par le gestionnaire d’infrastructure à chaque circulation de train : un fort trafic est donc essentiel pour garantir la rentabilité d’un projet de construction LGV. Les gestionnaires d’infrastructure peuvent aussi jouer sur le montant des péages pour accroître leur rentabilité mais la marge de manœuvre est limitée : cela conduit les opérateurs ferroviaires à augmenter le prix des billets pour les usagers ce qui restreint la demande et donc le niveau de trafic. 

constructions ligne à grande vitesse ratio
Analyse de la rentabilité des LGV françaises construites avant 2004 par SNCF Réseau
*  Données OAT10 Taux réels obligataires à long terme – Moyenne sur la décennie correspondant à la 1ère mise en service de la ligne 

En Chine, plusieurs lignes bénéficient d’un trafic très important et dégagent aujourd’hui des bénéfices. C’est notamment le cas de la liaison Pékin – Shanghai construite en 2011 qui a été rentabilisée en un temps record de 3 ans d’exploitation.  Cette ligne aujourd’hui cotée en bourse a réalisé plus d’1 milliards € de bénéfices nets en 2019. Elle transporte plus de 200 millions de passagers annuels soit plus de 4 fois le trafic annuel de la ligne TGV la plus empruntée d’Europe à savoir la ligne Paris – Lyon. 

En revanche, en Espagne, les niveaux de trafic du réseau LGV sont très faibles. Par conséquent, aucune ligne LGV espagnole n’est rentable : la situation la moins défavorable est la ligne Madrid-Barcelone avec un taux de couverture des couts de construction à 46%. 

Compte tenu de l’investissement important que représentent les projets de construction LGV (25M€/km en ordre de grandeur pour les 1ères LGV françaises) et du risque lié aux projections sur le niveau de trafic en phase avant-projet, la rentabilité n’est donc pas toujours garantie. Cela explique notamment que plusieurs projets en Europe soient révisés ou mis à l’arrêt. C’est notamment le cas de la LGV Britannique HS2 qui devait relier Londres à Manchester: étant donné le coût pharaonique du projet réévalué à 115 milliards €, le gouvernement Britannique l’a réduit au tronçon Londres-Birmingham dont le cout de construction devrait avoisiner les 60 milliards €. 

Des impacts socio-économiques contrastés en fonction des pays et des projets

En France, les LGV ont eu un impact significatif sur des grandes agglomérations telles que Lyon, Bordeaux et Nantes, renforçant leur attractivité et leur dynamisme économique grâce à la réduction des temps de trajet vers Paris. Cependant, cela a également entraîné des effets négatifs, comme la gentrification et l’augmentation du coût de l’immobilier, rendant l’accès au logement difficile pour les populations locales à revenu moyen. 

Les lignes à grande vitesse (LGV) ont transformé le réseau de transports en Europe, mais leur impact socio-économique varie considérablement d’un pays à l’autre et même entre les villes au sein d’un même pays, révélant des dynamiques de développement territorial complexes. 

En Espagne, les LGV ont renforcé le pouvoir de Madrid en créant un réseau centralisé qui facilite les échanges économiques et humains à l’échelle nationale. Cependant, certaines petites villes sur les lignes LGV ont souffert d’une désertification due à la migration vers les grandes métropoles. 

En Allemagne, la structure urbaine plus équilibrée et la politique de transport axée sur l’efficacité ont permis une meilleure homogénéité territoriale malgré l’introduction de LGV. 

Dans les pays en voie de développement, les LGV peuvent stimuler le développement économique mais posent des défis d’équité. Les coûts élevés de construction impliquant des tarifs de billets élevés peuvent limiter l’accessibilité pour les citoyens à faible revenu, réduisant ainsi l’impact potentiel des LGV sur la mobilité inclusive, comme observé au Maroc avec la LGV Tanger-Casablanca. 

Un mode de transport longue distance plus écologique que l’avion et la voiture 

Un des avantages non négligeable de la grande vitesse ferroviaire par rapport à l’avion et au mode routier est son impact écologique, et ce d’autant plus en France où la majorité de l’électricité produite est décarbonée. Ainsi, en France, si l’on prend en compte les émissions de gaz à effet de serre moyennes issues à la fois de l’exploitation, de la construction et de la maintenance d’une LGV en France et le taux d’occupation moyen des TGV, la grande vitesse ferroviaire (1,6 kgCo2/100km/pax) est 7 à 8 fois moins polluant que l’aérien (14,9kgCo2/100km/pax) et 11 fois moins polluant que la voiture (22 kgCo2/100km/pax).  

tableau émissions co2 par passager
Données 2018 – Comparaison d’émissions de GES entre l’avion et le TGV en
France et en Europe

A l’échelle mondiale, l’écart d’émissions de GES entre la grande vitesse ferroviaire et les autres modes de transports est très variable d’une région à une autre puisquil dépend notamment du mix électrique permettant d’alimenter la LGV (exe: En Allemagne, le niveau d’émission de GES sur la ligne Hanovre – Wuerzburg est proche de 7kgCO2/100km/pax soit un peu plus de 2 fois moins polluant que les émissions de l’aérien).  Néanmoins, on peut légitimement s’attendre à ce que le niveau moyen d’émissions en GES des LGV se réduise dans les années à venir avec l’appauvrissement des ressources mondiales en énergie fossiles et la transition énergétique opérée par les différents états. 

consommation carbone par passager ligne à grande vitesse
Comparaison de l’impact CO2 par km de plusieurs lignes à Grande vitesse à travers le monde 

Le développement des lignes ferroviaires à grande vitesse à travers le monde se poursuit y compris dans de nouveaux pays qui y voient un moyen de dynamiser leur économie. Néanmoins, ces nouvelles initiatives ne sont pas sans risque : la rentabilité d’une LGV dépend fortement des prévisions de trafic et les impacts sur les populations et les territoires ne sont pas toujours maîtrisés.

Au-delà des considérations socio-économiques, la faible empreinte carbone du train à grande vitesse est un atout non négligeable par rapport à d’autres modes de transport longue distance. La lutte contre le réchauffement climatique étant un défi majeur du 21 -ème siècle, les états et les gestionnaires d’infrastructure ferroviaires ont tout intérêt à faciliter le report modal vers la grande vitesse notamment en favorisant l’arrivée de nouveaux entrants (exe: Le Train, Trenitalia, Kevin Speed, Renfe sur le marché français) : cela permettra de densifier l’offre sur les lignes où la demande est élevée et de servir à la fois les objectifs climatiques et la viabilité du modèle LGV.

Auteurs Kern : Maxence C., Eric T., David P. et Nicolas V.

Sources:  

https://fr.wikipedia.org/wiki/Shinkansen

https://www.eesi.org/papers/view/fact-sheet-high-speed-rail-development-worldwide

https://www.latribune.fr/entreprises-finance/services/transport-logistique/72-milliards-d-euros-en-10-ans-l-incroyable-derive-des-couts-de-la-lgv-britannique-hs2-977311.html

https://www.statista.com/chart/17093/miles-of-high-speed-rail-track-in-operation-by-country

Économie de la grande vitesse ferroviaire: en marche vers le «  modèle italien  » (hal.science) 

bilanrentabilitegpso.pdf (cade-environnement.org) 

https://fr.wikipedia.org/wiki/Rendements_obligataires

https://enpc.hal.science/hal-01889849/document

https://agirpourlatransition.ademe.fr/particuliers/bureau/deplacements/calculer-emissions-carbone-trajets

https://chinadialogue.net/en/energy/11174-how-green-is-china-s-high-speed-rail