Le fonds euros, toujours attractif ?

par | 10 juin 2024 | Assurance

Depuis 2 ans, le fonds euros est rentré dans une période de fortes turbulences : déjà bousculé par l’appétence croissante pour les Unités de Compte (UC) portée par les records des marchés financiers, il s’est retrouvé confronté à la remontée très rapide de taux d’intérêt que l’on pensait durablement bas, et a subi une décollecte nette marquée. La transition vers les UC est-elle une lame de fond inarrêtable, ou arrive-t-on à un nouvel équilibre durable ?

Records des marchés financiers

Les indices des principales places boursières mondiales ont crevé les plafonds. Le CAC40, depuis sa création en 1987, n’avait jamais dépassé les 7 000 points, quasiment atteints juste avant l’explosion de la bulle internet en 2000. A 6 000 points avant la crise du COVID, il était retombé à 4 000 dans la foulée. Depuis, il est progressivement remonté pour atteindre et dépasser les 8 000 points depuis mars 2024.

Les autres grands indices ont fait même mieux : de 7 000 points en mars 2020, le NASDAQ (valeurs technologiques américaines) a fait le yoyo et atteint les 18 000 points 4 ans plus tard. Le Dow Jones (valeurs industrielles américaines) est passé de 19 000 a plus de 40 000 points sur la même période. Le DAX, de 10 500 à 18 000. Le DJ EuroStoxx 50 de 1 800 à 5 000. Bref, tous les indices boursiers majeurs ont explosé, améliorant les valorisations boursières des plus grandes entreprises et tirant dans leur sillage les valeurs de nombreuses UC.

L’inertie du fonds euros

Le fonds euros, de son côté, est beaucoup moins sujet à la volatilité : en effet, ses 1 400 milliards d’euros sont majoritairement investis en produits de taux, en particulier des obligations et autres titres de créance, dont la particularité est d’avoir une durée de vie de l’ordre de plusieurs années. Le taux de rendement étant dépendant des taux d’intérêt à l’émission du titre de créance, la rentabilité de l’investissement est quasiment garantie sur toute la durée mais devient peu attractive quand les taux augmentent.

C’est justement ce qui s’est passé entre 2022 et 2024, avec la remontée rapide des taux directeurs de la Banque Centrale Européenne. Ils étaient progressivement descendus de 1,5% à 0% depuis 2011, et ont brutalement remonté jusqu’à 3,5% entre juillet 2022 et mars 2023. Ces « taux directeurs », comme le laissent supposer leurs noms, servent de base à la fixation des taux de rendement des titres de créances émis sur les marchés financiers par les entreprises, organismes publics et Etats en recherche de financement. Lorsque les taux directeurs sont faibles, les titres de créances émis ont des taux de rendement faibles, qui s’appliquent pendant toute leur durée de vie. Investir dans ces titres permet de garantir ce rendement pendant cette durée de vie, ce qui est intéressant quand les taux directeurs baissent – les nouveaux titres de créance étant moins attractifs – mais pénalisant quand les taux directeurs montent – les nouveaux titres l’étant plus. C’est ce mécanisme qui explique l’inertie des fonds euros, investis majoritairement dans ce genre d’actifs.

Bascule progressive du fonds euros vers les UC

Ce double effet – explosion des valeurs boursières des entreprises et hausse des taux d’intérêt – a pris en ciseau les fonds euros, concurrencés au sein même des contrats d’assurance-vie par les UC adossées aux valeurs boursières sur les marchés financiers, et incapables de faire remonter rapidement leurs taux de rendement dans les mêmes proportions. Certes, la ponction dans la Provision pour Participation aux Bénéfices – réserve constituée par les assureurs dans les années où les rendements des titres de créances étaient plus élevés que les taux directeurs – a permis de limiter l’écart, mais celui-ci a considérablement augmenté : en 2023, on pouvait espérer 2 à 3% de rendement sur un fonds euros dans le meilleur des cas, là où les rendements annuels sur les UC pouvaient atteindre 20 à 30%.

Les UC ont évidemment des inconvénients pour l’assuré, en particulier l’absence de garantie en capital, le risque étant porté par l’assuré, contrairement au fonds euros où le risque est portée par l’assureur, et une forte volatilité, suivant directement celle des marchés financiers.

Mais les UC sont intéressantes pour l’assureur, car elles immobilisent moins de capital (le risque étant porté par l’assuré) et peuvent mieux le rémunérer que le fonds euros, d’autant plus quand leurs valeurs sont historiquement hautes.

Cela explique en grande partie le basculement constaté depuis 2020 des fonds euros au profit des UC [i] : entre 2013 et 2019, seule 2017 voyait une décollecte nette sur le fonds euros (-13 milliards €). Depuis 2020, la décollecte sur le fonds euros est continue à des niveaux élevés, et s’accentue même fortement ces trois dernières années : -25 milliards € en 2020, -12 en 2021, -21 en 2022 et même -27,6 milliards en 2023. En parallèle, il n’y a eu aucune décollecte sur les UC pendant la même période. Au contraire, la collecte nette, qui n’avait pas dépassé les 22 milliards annuels entre 2013 et 2019, a systématiquement dépassé ce seuil depuis 2020, et même dépassé les 30 milliards sur les trois dernières années. C’est donc la collecte en UC qui maintient la dynamique de l’assurance-vie et lui a permis de dépasser pour la première fois les 1900 milliards € d’encours.

Le fonds euros est-il voué à l’extinction ?

Malgré cette dynamique, le fonds euros reste un acteur majeur de l’assurance-vie : 72% des encours y sont encore investis ! Certes, depuis 2013, la proportion UC des versements en assurance-vie est passée de 14% à 41%, dépassant régulièrement les 30% seulement depuis 2020. Mais la dilution reste progressive, les 30 milliards € de cotisations UC nettes en 2023 ne représentant que 1,6% des 1 923 milliards € d’encours.

Par ailleurs, l’inertie des fonds euros lui permettra probablement d’ici quelques années d’inverser la tendance : en investissant maintenant que les taux directeurs sont hauts et devraient entamer une baisse progressive, l’inertie du fonds euros pourrait lui permettre de surperformer les autres investissements une fois les taux redescendus.

Il faut également compter sur le caractère cyclique des marchés financiers : ils ne sont pas à l’abri d’une correction faisant réaliser aux assurés qu’investir dans les UC peut être un choix gagnant comme perdant ; une telle correction pourrait les dissuader pendant un certain temps d’investir de nouveau dans les UC, comme cela s’est régulièrement vu après les crises financières, en particulier celles de 2000 et de 2011.

Enfin, le fonds euros est également source d’innovation. Le lancement [ii] par Spirica d’un fonds euros « durable » montre toute la pertinence de son positionnement, doublement durable : pour l’assuré et pour la société. La filiale du Groupe Crédit Agricole, spécialisée dans la distribution d’assurance-vie via des partenaires courtiers ou conseillers en gestion de patrimoine, s’est appuyée sur l’article 9 du règlement SFDR – Sustainable Finance Disclosure Regulation –qui s’applique aux investissements ayant un objectif d’investissement durable.

Le lancement d’un nouveau fonds euros a du sens, pour collecter des fonds qui s’investiraient à un moment où les taux directeurs sont au plus haut attendu ; mais ce positionnement stratégique différent est particulièrement intéressant pour éviter de léser les détenteurs des fonds euros historiques de l’assureur. Ces derniers subissent des taux de rendement faibles dus à l’inertie des fonds euros historiques, et bénéficieraient eux-aussi de nouveaux versements s’investissant dans des actifs plus rémunérateurs ; réserver le nouveau fonds euros à ceux qui souhaitent spécifiquement investir dans un objectif durable favorise l’acceptabilité de la manœuvre auprès des clients historiques.

L’évolution des marchés financiers et des taux d’intérêt déterminera la dynamique à venir

Les marchés financiers continueront-ils à se valoriser ? Subiront-ils une correction, et de quelle ampleur ? L’inflation et donc les taux d’intérêt resteront-ils haut longtemps, ou redescendront-ils ? Rapidement ou lentement ?  De la réponse à ces questions dépendra l’équilibre de long terme entre fonds euros et UC.


[i] « la France Assurable », rapport annuel de France Assureurs, https://www.franceassureurs.fr/wp-content/uploads/2024-03-26-slides-cdp-complete-vdef.pdf

[ii] https://www.spirica.fr/wp-content/uploads/2024/04/16.04.2024-Communique-de-presse-Fonds-Euro-Objectif-Climat-VDEF.pdf