le réveil des trains de nuit

par | 25 juin 2024 | Transport

S’endormir dans une ville et se réveiller dans une autre à des centaines de kilomètres ; voilà la promesse offerte par les trains de nuit qui relient les villes européennes. Les emprunter, c’est vivre une aventure – à la Hercule Poirot dans l’Orient-Express. Dans la réalité, ils suscitent à nouveau l’intérêt des acteurs publics et privés : une dizaine de lignes nationales et internationales pourraient voir le jour en France d’ici 2030.

Les clairs avantages du train de nuit

Il est pratique : on peut économiser une nuit d’hôtel ou partir après la journée de travail. À l’avance, les tarifs sont attractifs. C’est même une solution écologique pour voyager, car le train émet 50 fois moins que la voiture, et 80 fois moins que l’avion [1] [2].
Le train de nuit s’inscrit dans deux volontés européennes fortes : la transition vers la neutralité carbone d’ici 2050 ; et la création d’un réseau transeuropéen de transport [3]. C’est ainsi qu’en 2020, les quatre compagnies ferroviaires historiques française, allemande, suisse et autrichienne s’accordent pour ouvrir de nouvelles liaisons nocturnes entre leurs capitales.

Un passage à vide après les années 80

Pourtant, en 2016, l’État annonçait leur suppression progressive : le modèle économique n’était pas rentable. Sur les 15 000 km de lignes qui desservaient 256 gares en France [4], seules deux lignes sont maintenues, car elles désenclavent les territoires éloignés.

image train de nuit carte de france
Carte de France des lignes de train de nuit en fonction des années

Plusieurs facteurs expliquent ce déficit. Les coûts d’exploitation sont plus importants que ceux des lignes de jour, dont ils perturbent aussi les maintenances nocturnes. Ajoutons que chaque voiture couchette accueille moins de passagers qu’une voiture classique.
Finalement, c’est l’essor des nombreux moyens de transport alternatifs low-cost qui pèsera le plus sur les trains de nuit. Les applications de covoiturage, les Flixbus et Blablacar, les TGV et les vols à prix cassés lui font concurrence directe.

La relance des acteurs publics

Malgré ces arguments, en Autriche, ÖBB a maintenu ses 20 lignes – allant même jusqu’à reprendre celles abandonnées en Allemagne. Pour les rendre rentables, ÖBB a lancé la marque commerciale Nightjet, et a rétabli les offres premium, qui comptent pour 2% des places mais 17% des profits. En 2021, Transdev a également suivi ce business model pour l’exploitation de la ligne Berlin-Stockholm [5].

L’opinion a donc changé depuis 2016, reflétée par la mobilisation du collectif « Oui au train de nuit » ou encore du réseau européen « Back-on-Track ».

C’est ainsi qu’en 2020, le plan France Relance s’adresse à l’amélioration des services dans les trains de nuit. Pari réussi. Entre 2019 et 2022, le nombre de passagers double et le taux de remplissage passe de 40% à 70% [6]. 100 millions d’euros sont dédiés à la réouverture de lignes comme le Paris-Nice, en plus des 44 millions précédemment investis pour rénover les voitures actuelles.

image train de nuit cabine
Exemple d’intérieur d’une cabine confort de train de nuit Nightjet

La modernisation attendue n’est pourtant pas toujours au rendez-vous et de nombreux problèmes sont déjà survenus comme des retards importants (jusqu’à 22h de trajet sur le Paris-Berlin !) et la vétusté des voitures.

De nouveaux acteurs privés entrent en gare

L’ouverture du rail européen à la concurrence [7] permet l’émergence de nouveaux acteurs privés sur le marché, qui misent sur la rentabilité des trains de nuit et la nette amélioration des services à bord.
La coopérative European Sleeper exploite déjà une ligne Bruxelles-Prague, et a récemment investi dans de nouvelles voitures de nuit en levant 2 millions d’euros. Des travaux sont en cours pour ouvrir un Bruxelles-Barcelone passant par la France.
Mais jusqu’à la mise en service, le chemin n’est pas toujours aisé. Midnight Trains vient d’annoncer l’arrêt de son projet. Cette start-up française avait l’ambition de relier Paris et les métropoles européennes avec son « hôtel sur rails ». À bord, la décoration luxueuse et le restaurant nous auraient replongés dans les années folles. Leur cible était claire : pousser les utilisateurs d’EasyJet à voyager sur rails pour le même budget.
L’idée d’un tourisme roulant de luxe n’est pas enterrée pour autant. En France, le Puy-du-Fou veut lancer « Le Grand Tour ». Leur ambition ? Une semaine de train qui n’a rien à envier aux hôtels 5 étoiles, à découvrir le terroir… le tout pour quelques milliers d’euros par personne.

Les défis de l’avenir

Cette montée en gamme des trains de nuit a encore de nombreux défis à relever en termes de services ou de matériel.
Le manque d’investissement durant les dernières décennies résulte en un matériel roulant vieillissant : la plupart des trains en circulation sont composés de voitures Corail rénovées datant de plus de 40 ans.
C’est un frein important au développement du train de nuit. Avec un parc matériel actuel insuffisant, le marché d’occasion est trop limité pour ouvrir de nouvelles lignes correctement desservies. Or la production de nouvelles voitures – si elle est lancée – prendra plusieurs années.

L’engouement pour le ferroviaire en Europe profite au train de nuit, même s’il reste à différents stades de relance en fonction des acteurs et des pays. On peut espérer que ce marché atteindra une taille critique pour permettre un accès facilité à l’acquisition du matériel roulant, et ouvrir la voie à son développement futur.

Sources :
[1] Ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires. (2023) « Train de nuit », 19/12/23. Disponible à : https://www.ecologie.gouv.fr/train-nuit (consulté le 23/05/24).
[2] Amoros, P., Babet, C., Bouvry, L., Colussi, C., Lambrey, S. (2023) « Émissions de gaz à effet de serre du transport », Chiffres clés des transports, mars 2023. Disponible à : https://www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/edition-numerique/chiffres-cles-transports-2023/20-emissions-de-gaz-a-effet (consulté le 23/05/24).
[3] Tobelem, B. (2023) “La politique européenne des transports », 27/11/23. Disponible à : https://www.touteleurope.eu/economie-et-social/la-politique-europeenne-des-transports/ (consulté le 22/05/24).
[4] Carrouet, G. et Mimeur, C. (2024) « Le retour des trains de nuit se fait-il sur de bons rails ? », Environnement Magazine, 14/05/2024. Disponible à : https://www.environnement-magazine.fr/mobilite/article/2024/05/14/148766/retour-des-trains-nuit-faitil-sur-bons-rails (consulté le : 24/05/24).
[5] Intro Europe (2023) Will Night Trains Replace Planes?. Disponible à : https://www.youtube.com/watch?v=2beTUPh7k14 (consulté le 27/05/24).
[6] Malaure, J. (2023) « On a testé le slow train, de nuit », Le Point, 12/12/23. Disponible à : https://www.lepoint.fr/voyages/on-a-teste-le-slow-train-de-nuit-12-12-2023-2546808_44.php (consulté le 22/05/24).
[7] Ministère de la transition écologique et de la cohésion des territoires. (2024) « Les trains d’équilibre du territoire (TET) », 24/05/24. Disponible à : https://www.ecologie.gouv.fr/trains-dequilibre-du-territoire-tet (consulté le 27/05/24).