La révision de Solvabilité 2, un pas de plus vers la durabilité des organismes d’assurance ?

par | 23 mai 2024 | Assurance

La directive Solvabilité 2 rythme la vie prudentielle des organismes d’assurance européens depuis le début des années 2010.

Publiée au Journal Officiel de l’Union Européenne fin 2009, ses principales dispositions sont entrées en vigueur début 2016, après une intense période de préparation, et prévoyait une révision au bout de 5 ans.

Le 22 septembre 2021, la Commission Européenne a publié i ses propositions d’amendements à la directive Solvabilité 2. Le 13 décembre 2023, le Conseil de l’Europe – rassemblant les chefs d’États et de Gouvernements – et les membres du Parlement Européen ont trouvé un accord ii sur la base de ces propositions. Le 23 avril 2024, les parlementaires européens ont adopté cet accord en séance plénière. Il ne fait donc plus de doute que le Conseil Européen validera formellement ces textes pour que leur entrée en vigueur soit effective.

Les États membres auront alors 2 ans pour en retranscrire les dispositions dans leurs droits nationaux respectifs, rendant probable l’entrée en vigueur de telles dispositions à partir de 2026 ou 2027.

Quel impact pour la durabilité face au changement climatique ?

Solvabilité 2, un cadre normatif exigeant

Solvabilité 2 est la directive qui encadre les exigences prudentielles auxquelles sont soumis les organismes d’assurance et de réassurance exerçant dans l’Union Européenne ; elle s’appuie sur trois piliers.

Tout d’abord, un pilier quantitatif décrivant les règles de valorisation des actifs et des passifs, et les exigences de détention en capital pour un organisme ainsi que leur mode de calcul. Ces exigences sont le cœur du réacteur car elles déterminent les capacités ou non de couvrir de nouveaux risques, le rendement ajusté du risque en capital de l’activité, et in fine le pilotage stratégique de l’organisme. Si besoin, le capital peut être augmenté en affectant en réserve une partie des éventuels résultats positifs, ou en sollicitant des investisseurs. A défaut, il peut être nécessaire de se retirer de certaines activités coûteuses en capital pour en libérer.

Ensuite, un pilier qualitatif définissant les règles de gouvernance et de gestion des risques, en particulier le mécanisme fondamental qu’est devenu l’ORSA pour Own Risk and Solvency Assessment. Ce dernier impose à chaque organisme d’auto-évaluer les risques auxquels il est soumis et leur impact sur sa solvabilité.

Enfin, un pilier de reporting au public et au superviseur, harmonisé au niveau européen, avec notamment les RSR – Regulatory Solvency Report – réservé aux autorités de surveillance, et les SFCR – Solvency and Financial Condition Report – à destination de tout public. Ce pilier est primordial pour garantir une supervision homogène dans l’UE, et une véritable comparabilité pour le grand public et les investisseurs.

Certaines dispositions influeront directement sur la durabilité des activités face au changement climatique

La réforme crée explicitement l’obligation d’intégrer à l’ORSA des considérations climatiques, en déterminant si l’organisme est exposé « de manière importante » aux risques liés au changement climatique et de démontrer l’importance de son exposition. Il devra alors définir au moins deux scénarios climatiques « de long terme », l’un où « l’augmentation de la température mondiale reste inférieure à deux degrés Celsius », l’autre où cette augmentation atteint ou dépasse les deux degrés.

Il est important de noter qu’il reste beaucoup d’inconnues : il n’est précisé ni ce qu’on entend par « changement climatique », ni ce qu’on considère comme une « exposition importante », ni quelle est l’échéance de ce « long terme », ni si cette température mondiale est la moyenne, et encore moins à quelle période « normale » il est fait référence. Les organismes d’assurance ont donc une marge d’appréciation importante, ce qui risque de rendre plus difficile les comparaisons.

Bien que l’idée même de l’ORSA soit l’auto-évaluation, l’EIOPA établira certainement des orientations en vue d’harmoniser les pratiques. Ces scénarios doivent servir à évaluer les risques et la solvabilité sur une période au maximum de trois ans, et être eux-mêmes réévalués au moins tous les trois ans et mis à jour si nécessaire, en alignement avec les pratiques de l’ORSA qui restent sur des horizons de temps de court terme compatibles avec le pilotage opérationnel des organismes d’assurance.

Il est également prévu que chaque organisme intègre désormais systématiquement dans son ORSA des considérations et analyses macroéconomiques basées sur des scénarios à fournir par l’EIOPA, dans lesquels devraient progressivement apparaître de plus en plus les risques liés au changement climatique.

Le « principe de la personne prudente » dans le cadre des investissements d’un organisme devra désormais obligatoirement prendre en compte à la fois l’impact de certaines conditions macroéconomiques ou des marchés financiers sur les investissements, mais également inversement l’impact des investissements sur ces conditions. On peut imaginer voir également augmenter progressivement les considérations écologiques dans les politiques d’investissement, en lien notamment avec le règlement européen SFDR – Sustainable Finance Disclosure Regulation – qui impose la publication d’informations sur la prise en compte des exigences ESG – Environnementales, Sociales et de Gouvernance – dans leurs politiques d’investissement.

Mais l’impact restera modeste dans un premier temps

S’il s’agit d’avancées notables, on peut néanmoins regretter qu’il ne soit pas fait référence, à ce stade, au règlement Taxonomie de 2020, qui définit les objectifs de développement durable au niveau européen et qualifie le caractère « durable » ou non des différentes activités économiques.

Pour inciter plus fortement les organismes à investir en accord avec cette taxonomie ou couvrir des risques d’entreprises plus durables, la Commission Européenne aurait pu aller plus loin et permettre la pondération progressive des exigences en capital en fonction de la nature « durable » ou non des investissements ou des garanties, les rendant moins coûteuses que leurs équivalentes « non durables » – à l’instar du marché carbone européen.

Peut-être trouvera-t-elle le moyen dans le futur règlement délégué – sorte de décret d’application – d’y parvenir, mais en a-t-elle le mandat ou même l’intention ? La Commission Européenne sera renouvelée à l’issue des élections européennes de juin 2024, tout devrait donc se jouer au deuxième semestre 2024.

Nul doute que l’EIOPA aura son mot à dire sur le sujet, la réforme la mandatant, « en ce qui concerne les risques de durabilité », pour étudier « s’il conviendrait de réserver un traitement prudentiel spécifique aux expositions associées aux actifs ou activités étroitement liés à des objectifs environnementaux et/ou sociaux ». Elle a d’ailleurs tenu entre le 13 décembre 2023 et le 22 mars 2024 une consultation iii à ce sujet, dans laquelle elle estime que le cadre existant et à venir de Solvabilité 2 est approprié et qu’il convient d’en faire jouer les paramètres uniquement dans le cadre des mécanismes existants.

Le salut viendra-t-il d’ailleurs ?

Les organismes eux-mêmes devront de toute façon prendre sérieusement en main le sujet. En effet, dans le cadre de la directive CSDDD – pour Corporate Sustainability Due-Diligence Directive, votée en séance plénière du Parlement Européen le 24 avril 2024, les organismes d’assurance auront, comme toutes les entreprises d’autres secteurs, l’obligation d’adopter des plans de transition respectant l’accord de Paris sur le climat visant à limiter d’ici 2100 à « bien moins de 2°C » – en poursuivant les efforts pour rester sous les +1,5°C – l’augmentation de la température moyenne mondiale par rapport aux niveaux préindustriels (1850-1900).

Les travaux relatifs à la durabilité promettent en tout cas d’être intenses en 2024 au sein des organismes d’assurance. Ils devront en effet également finaliser leur mise en conformité avec le nouveau règlement CSRD – Corporate Sustainability Disclosure Regulation, qui impose la publication d’indicateurs quantitatifs et qualitatifs de durabilité sur la base de rapports cross-sectoriels génériques et d’autres spécifiques à chacun des secteurs, dont l’un pour l’assurance – voir notre publication dédiée iv.

[I] https://eur-lex.europa.eu/legal-content/EN/TXT/?uri=CELEX:52021PC0582

[II] https://www.consilium.europa.eu/en/press/press-releases/2023/12/14/solvency-ii-and-irrd-council-and-parliament-agree-on-new-rules-for-the-insurance-sector/

[III] https://www.eiopa.europa.eu/eiopa-consults-prudential-treatment-sustainability-risks-2023-12-13_en

[IV] https://www.kern-consulting.fr/comprendre-et-anticiper-la-directive-csrd-les-normes-esrs-et-le-reporting-de-durabilite-254863